Filière niébé : des variétés améliorées dans un contexte d’augmentation du prix des céréales

Confrontés à une crise alimentaire, les Burkinabè vivent sous le poids de l’augmentation des prix des céréales. Une hausse qui a bien frappé la filière niébé entrainant ainsi l’augmentation du prix du Benga (mets fait à base du niébé) alors considéré comme l’un des plats les plus prisés au Burkina Faso. De la vendeuse de benga à la revendeuse, en passant par les producteurs, Info Nature a fait un zoom sur le Benga. Reportage!

De Emmanuel GOUBA 

« Benga ce n’est plus pour les pauvres dèh », a lancé Arthur Clément Ouédraogo, étudiant en master I en politique agricole, le 3 septembre 2022. Cet étudiant qui dinait un plat de benga (appellation commune du niébé) avec ses amis, parlait de la hausse du prix du benga. « Avant, avec 100 F CFA, on pouvait acheter un plat de benga dans les restaurants parterre mais de nos jours, il faut 200 F CFA, minimum pour être servi », a-t-il renchéri.

Ces propos de Arthur sont soutenus par Mariam, vendeuse de Benga au quartier Tanghin. Une dame qui exerce ce métier, il y a de cela trois ans. Elle dit pouvoir subvenir aux besoins de sa famille grâce à ce métier. Dans la journée du 1er septembre, elle confie qu’en trois ans, elle a observé un changement dans le circuit d’achat de sa matière première qu’est le niébé. « Il y a trois ans de cela, j’achetais le haricot à 850 F CFA souvent à 1500 F mais à l’heure actuelle, le plat coute 1900 F CFA », a-t-elle expliqué. Une augmentation qui n’est pas sans effet sur sa vente. « Actuellement, nous essayons de faire de notre mieux pour maintenir les clients en attendant un retour aux prix normaux. Sinon on ne gagne plus grand-chose comme bénéfice », a-t-elle déclaré.

 

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Dans son restaurant de pas plus d’une superficie d’un studio, les plats de Mariam sont appréciés, malgré l’augmentation du prix du plat. C’est le cas de Adama Kaboré venu acheter son déjeuner. « Je suis venu acheter du benga, j’ai pris pour 300 F CFA et poisson 200 F CFA, le tout fait 500 F CFA » a-t-il déclaré. Pour lui, le prix a augmenté mais elle ne rejette pas la faute à la restauratrice. Il estime plutôt que c’est le prix de la céréale même qui a augmenté. Des propos que confirment Mariam qui explique que lorsqu’elle commençait à vendre du « benga cuit », elle pouvait servir un plat complet (haricot + huile et atiéké) à 100 F CFA. Mais, aujourd’hui, dit-elle, « je commence à partir de 200 F CFA »

Selon cette dame cette augmentation du prix du niébé est dû en partie à l’insécurité que traverse le Burkina Faso mais aussi des aléas climatiques qui ne font pas du bien aux récoltes. « Si la sécurité revient ça ira, sinon actuellement, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui achètent les vivres »,a-t-elle dit. Parlant de l’insécurité, elle évoque le cas des déplacés internes dont nombreux d’entre eux étaient cultivateurs mais qui se retrouvent contraints aujourd’hui à acheter de vivres car fuyant les actes terroristes, ils n’ont plus accès à leurs terres. « Donc vous comprenez que le fournisseur est devenu acheteur », a-t-elle dit. Quant aux aléas climatiques, Mariam parle des attaques d’insectes qui détruisent les semis, elle parle également de l’insuffisance des pluies mais aussi de la dégradation des sols. ce sont les cultivateurs aujourd’hui même qui sont appelés à acheter des vivres car ils n’ont plus de terres pour cultiver.

« Le niébé coûte cher sur le marché »

Au marché de « Arb-yaaré », sis au quartier Tanghin, Aminata Kaboré s’adonne à la vente de céréales. C’est une dame ayant presque la soixantaine. Avec plus 20 ans d’expériences dans la vente des céréales, Aminata confie qu’elle n’a jamais connu une augmentation pareille du prix du niébé.

Aujourd’hui le prix du à benga grossièrement augmenté. Pour elle, ces prix sont insoutenables pour un citoyen lambda mais elle dit se plier à la réalité. « Il y a eu des moments, où le client peut avoir son argent et avoir des difficultés pour avoir du bon haricot au regard de la non disponibilité du produit ». Pour elle, cela est dû à l’augmentation de la population alors que les surfaces arables se rétrecient au regard de l’insécurité qui a causé la fuite de nombreux agriculteurs.

Des difficultés dans la production du niébé

Plat prisé par la jeunesse, la production du niébé n’est pas sans difficulté. Selon Dr Benoit Joseph Batieno, Maître de Recherche en Génétique et Amélioration des Plantes au CNRST et Responsable de l’équipe de Sélection et amélioration variétale du niébé a l’INERA et basé au Centre de Recherches Environnementale, Agricole et de Formation de Kamboinsé (CREAF/K), la culture du niébé peut se confronter à plusieurs contraintes à savoir les maladies (pourriture des tiges, des gousses, viroses des plantes etc.), les insectes ravageurs au champ (pucerons, les Thrips des fleurs, les punaises suceurs de gousses, la pyrale des gousses encore connue sous le nom de Maruca), les insectes de stockages comme les bruches. Il cite également les aléas climatiques comme la sécheresse mais aussi la pauvreté des sols. Dr Batiéno pointe aussi l’insuffisance des semences améliorées comme difficulté.

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Des variétés de niébé à double objectif pour accroître la production

Face à ses multiples difficultés que rencontrent les producteurs aux Burkina, les chercheurs ne restent pas les bras croisés. Dr Benoît Batieno explique que plusieurs variétés de niébé ont été développées et vulgarisées dont celles connues et cultivées ces dernières années sont Tiligré, Nafi, Yiisyandé, Komcallé et plus récemment Neerwaya, Makoyin, Yipoussi, Gourgou, et Teeksongo. « Leurs avantages sont déjà dans leurs noms », a-t-il affirmé.

Pour nous chercheurs, il faut augmenter le panier de choix des producteurs afin d’améliorer la production et contribuer à l’atteinte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Et pour cela les biotechnologies jouent et joueront un grand rôle.

Le généticien explique que ces variétés permettent aux producteurs d’augmenter à la fois le rendement des grains de niébé mais aussi la quantité de fourrage. « La variété KVx745-11P avait donc été développée sur cette base et vulgarisée comme variété a double objectif (grain/fourrage) » a-t-il déclaré. Et de précisé que la variété KVx745-11P n’est pas bien aimée par certains producteurs qui estiment à cause la qualité des graines. C’est à cet effet, renchérit Dr Batieno que la variété Teeksongo a été développé. Il explique que le Teeksongo est une version améliorée de la variété KVx745-11P qui allie haute qualité fourragère, qualité de grain et une productivité supérieure à la variété KVx745-11P.

Face à la crise alimentaire qui secoue le Burkina Faso, Dr Batieno est convaincu que les biotechnologies peuvent contribuer considérablement à trouver plus rapidement de solutions. Avec les biotechnologies dit-il, on peut réduire les dépenses agricoles et produire plus.

Des semences améliorées font la joie d’un producteur dans la boucle du Mouhoun

A une quinzaine de kilomètre de Dédougou, précisément dans le village de Sagla, un producteur fait parler de lui. Olivier Paré, puisque c’est de lui qu’il s’agit est un entrepreneur agricole. Dans sa ferme de 24 hectares et demi, l’homme pratique l’agriculture, l’élevage, la foresterie.

La particularité de cet homme dans le milieu agricole, est qu’il ne badine pas avec les informations, conseils, semences mise au point par les chercheurs burkinabè. En quatorze ans de pratique agricole, Olivier Paré dit avoir découvert grâce à une formation des semences développées par les chercheurs burkinabè. Et depuis, ce jour, il est aux aguets des fruits de la recherche.

Dans ma ferme j’ai réservé 11 hectares de forêt pour que les chercheurs viennent faire leurs expérimentations au besoin.

Pour cette campagne humide 2022, Olivier Paré a emblavé 7 hectares de niébé. Il attend atteindre deux objectifs à savoir : avoir de bons grains et avoir assez de fourrages. Un pari réussi, selon lui. « Depuis le 25 août, j’ai commencé à récolter le niébé », a-t-dit. Dans sa surface dédiée au niébé, il est difficile de poser le pieds sans piétiner les feuilles d’haricot. Et cela, parce que les feuilles de ces semis se sont tellement bien étalées. « Vous voyez, comment mon champ bien rempli du feuillage, c’est du fourrage à n’en pas finir », s’est-il exclamé. Et d’ajouter que l’objectif est atteint car ces spéculations ont beaucoup de feuilles, ce qui constitue un bon fourrage pour les animaux, et les grains sont destinés à la consommation humaine.

Il explique qu’il a utilisé trois types de variétés à savoir le Teeksongo, le KVx745-11P et la variété Wari. « Toutes les spéculations que je fais dans cette ferme, c’est à double fin. J’ai fait le sorgho », a-t-il renchérit.
Déjà de bonnes récoltes pour Olivier Paré

 

Bien que, la saison n’est pas encore à terme, Olivier Paré se frotte déjà les doigts au regard de ses récoltes. Dans son terrain, on voit déjà des femmes et d’hommes à la récolte du niébé. A la question de connaître son secret qui lui permet de faire de bonnes récoltes, il répond : « je suis juste les prescriptions des chercheurs et des services de l’agriculture ». D’ailleurs, il estime que le Burkina Faso ne peut atteindre l’autosuffisance alimentaire que si « les agriculteurs mettent en pratique les techniques et semences développées par les chercheurs ». « Si nous n’écoutons pas les chercheurs, nos rendements seront moins », prévient le producteur de Sagla.

Variétés à double objectif : un moyen de réduire les tensions entre agriculteurs et producteurs

« Aujourd’hui, il y a beaucoup de conflits entre chercheurs et agriculteurs, avec les éleveurs qui veulent du fourrage et les agriculteurs qui attendent de bonnes récoltes mais grâce aux travaux des chercheurs, nous arrivons à avoir des spéculations qui donnent de bons grains et à la fois beaucoup de feuilles », a-t-il dit. Mais, le producteur déplore que ces travaux de ces chercheurs n’aient pas encore eu plus d’effets sur les producteurs. « Plus de 80% des agriculteurs ne savent pas ce que les chercheurs font. Alors qu’il y a une multitude de variétés qui sont mis en place mais qui ne sont pas valorisées », a-t-il déclaré. Son souhait, c’est de voir l’Etat Burkinabè reconsidérer sa position vis-à-vis des chercheurs.

En signe de reconnaissance aux chercheurs, le producteur disponibilise 11 hectares de forêts, dans sa ferme pour d’éventuels besoins d’expérimentations des chercheurs.

«… Vaut mieux mourir le ventre plein que de mourir de mourir de faim », Dominique Lompo
Selon le directeur provincial en charge de l’agriculture de la Boucle du Mouhoun Dominique Lompo, le producteur Paré est un agriculteur modèle. Pour lui, les autres producteurs doivent emboiter ses pas en utilisant les semences améliorées. « Nous souhaitons que les producteurs fassent confiance aux services techniques qui vont les permettre d’améliorer leurs rendements. La recherche y travaille d’arrache-pied. C’est dommage que la chaine de transmission de la recherche à la vulgarisation soit un peu affaiblie qu’à cela ne tienne, les catalogues existent et les services techniques sont suffisamment informés pour accompagner les producteurs » a-t-il expliqué.

Dominique Lompo, directeur provincial de l’agriculture de la Boucle du Mouhoun

Répondant à une question sur l’utilisation et mise en place des OGM, Monsieur Lompo estime que tous les OGM ne sont pas mauvais. D’ailleurs, il soutient que Burkina Faso est en quête de sécurité alimentaire depuis plus de 6 décennies et si les OGM (Organismes génétiquement modifiés) sont une alternative, son utilisation ne serait pas de trop. « Quelqu’un disait qu’il vaut mieux mourir le vendre plein que de mourir de faim. Si les OGM peuvent augmenter les rendements c’est bien. L’essentiel c’est de maitriser ses conséquences à court et moyen terme et à long terme, pour l’homme et l’environnement », a-t-il ajouté.

Il faut noter que les chercheurs burkinabè dans l’optique d’accroître la production du niébé et de mieux réussir sa conservation ont initié le projet du niébé BT. Selon Dr Batieno, le projet connait des avancés. « Le niébé Bt suit son cours normal. Les expérimentations concernant le premier gène introduit sont terminées avec de très bons résultats que nous soumettrons bientôt à l’appréciation du régulateur qui est l’Agence Nationale de Biosécurité », a-t-il expliqué.

 

Encadré

Info Nature
Les biotechnologies sont-elles des alternatives pour la crise alimentaire qui frappe le Burkina ?

Dr Bénoît Batiéno Ce serait une réponse trop simpliste si je dis oui car les biotechnologies ne sont pas des produits alimentaires mais des techniques qui peuvent servir dans plusieurs domaines afin de faciliter ou aider l’homme à trouver des solutions aux problèmes qu’il rencontre dans son quotidien. Ainsi, les biotechnologies servent dans les domaines de la médecine humaine et animale, dans l’agriculture et dans la transformation des produits agricoles. Pour nous en sélection et amélioration des plantes on a accès a plusieurs techniques qui entrent dans le domaine des biotechnologies. Nous avons la sélection assistée par marqueurs, la mutagénèse, la culture des tissus des plantes, l’édition génique et en dernière position l’outil dont je pense que tous font allusions dès qu’on parle de biotechnologies, la modification génétique ou transgénèse. Ces méthodes permettent aux sélectionneurs de considérablement réduire le temps pour créer une nouvelle variété et la mettre à la disposition des producteurs pour résoudre un problème. C’était le cas du coton Bt qui était la seule plante en culture au Burkina Faso et qui permettait de réduire le nombre de traitement dans les champs donc réduire les dépenses, les problèmes de santé, les empoisonnements et du même coup accroitre les rendements.

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