Minamata, d’une catastrophe sanitaire à une convention internationale

Pendant des années à Minamata au Japon, une entreprise a déversé des résidus de mercure dans la mer, avec des conséquences sanitaires et environnementales dramatiques.

La « catastrophe de Minamata » est emblématique de l’impact de métaux toxiques sur la santé humaine et du temps nécessaire pour un processus de réparation et l’adoption d’une convention internationale.

Mais l’extraction de métaux par des procédés toxiques continue et alimente un système de consommation non durable.

Après plusieurs années de difficiles négociations, l’ONU a adopté, en janvier 2013, la Convention de Minamata sur la protection de la santé humaine et de l’environnement contre les rejets de mercure.

L’objectif de ce texte contraignant est, d’ici à 2025, la fermeture des mines de mercure et l’interdiction de produits et procédés recourant ou contenant du mercure pour lesquels il existe des alternatives.

L’interdiction du mercure est prévue d’ici à 2020 dans les thermomètres, instruments de mesure de la tension, batteries, interrupteurs, crèmes et lotions cosmétiques et certaines lampes fluorescentes.

La convention de Minamata a été ouverte à signature les 10 et 11 octobre 2013 au Japon et a été signée par 140 Etats, dont la France. Elle entrera en vigueur après sa ratification par 50 Etats. L’Union européenne va également lancer un processus de ratification et d’application au niveau européen.

Le mercure est classé officiellement parmi les « dix produits chimiques ou groupes de produits chimiques extrêmement préoccupants pour la santé publique ». L’intoxication aux composés de mercure se traduit par des symptômes sensoriels, neurologiques et moteurs. La maladie de Minamata désigne une affection neurologique grave due à cette intoxication.

Pourquoi toutes ces références à la ville japonaise de Minamata ? Une usine pétrochimique fut installée dans la baie de Minamata, au sud-ouest du Japon, dès 1907, utilisant comme catalyseur l’oxyde de mercure, dont les résidus – ainsi que ceux d’autres métaux lourds à partir des années 30 – étaient rejetés la mer, contaminant tout l’écosystème et s’accumulant dans la chaîne alimentaire. On estime à 400 tonnes le mercure déversé dans la baie de Minamata jusqu’en 1966, date à laquelle un nouveau procédé de fabrication est mis en place.

Après la Seconde Guerre mondiale, la maladie est documentée, particulièrement chez les pêcheurs et les personnes consommant du poisson : la pêche constituait une des principales ressources des villages alentour. La maladie est officiellement reconnue en 1956.

Des centaines de personnes en sont mortes et des dizaines de milliers sont atteintes de troubles neurologiques tandis que des enfants naissent avec des malformations, des handicaps, des troubles mentaux. Les cas de leucémie sont également en augmentation.

Un siècle d’atermoiements

Cette catastrophe a donné lieu à des décennies de batailles juridiques pour l’indemnisation des victimes par l’entreprise responsable, l’Etat japonais et les autorités locales.

En 2013, suite à un projet de loi qui a mis plusieurs années à être élaboré, plus de 57 000 personnes ont demandé réparation et 50 000 personnes sont actuellement concernées par un programme d’aide du gouvernement japonais. Cette avancée intervient après des années d’atermoiements où seulement 3 000 personnes avaient été reconnues comme victimes (la plupart d’entre elles étant mortes depuis).

Cette catastrophe sanitaire et écologique est emblématique – comme celle de Bhopal en Inde en 1984 ou le scandale de l’amiante – de multiples enjeux : l’idéologie du développement industriel avant tout, le refus des entreprises de payer pour les dégâts commis et leurs manœuvres pour retarder la parution d’informations, le peu d’empressement des autorités publiques qui ont pourtant pour mission de protéger l’intérêt général, le temps long entre le début des expositions, les conséquences sur la santé des générations suivantes, la reconnaissance de la maladie.

L’affaire de Minamata s’étale sur un siècle ! Il a fallu plus de 50 ans pour qu’un dépistage sérieux soit effectué sur les personnes souffrant de troubles. Même si un monument est dédié aux victimes au Minamata Eco Park, où se situe le Musée municipal de la maladie de Minamata, on ne pourra jamais dédommager le préjudice psychologique et moral de ceux qui habitent dans ce qui figure dans l’histoire comme la « baie toxique »…

La Convention de Minamata elle-même ne pourra empêcher qu’à court terme les émissions de mercure se poursuivent, voire augmentent en raison notamment du développement des centrales à charbon en Asie du Sud-Est. De même, des dizaines d’années sont nécessaires pour que baisse le taux de contamination des poissons qui sont en haut de la chaîne alimentaire.

C’est pourquoi les principes de précaution, de pollueur-payeur, le droit à un environnement sain, qui font de plus en plus l’objet d’attaques au nom du réalisme économique et du « progrès », doivent être défendus et mis en pratique.

Femmes, orpaillage et mercure

Dans les petites exploitations d’or artisanales, qui utilisent du mercure – qui a la propriété d’amalgamer l’or – les femmes paient un lourd tribut en matière de conséquences sanitaires. En effet, elles sont souvent employées à des tâches très exposées de manipulation et chauffage du mercure, souvent avec leurs enfants à proximité.

Des taux de mercure très importants ont été trouvés dans leurs organismes, avec des symptômes évoquant des « troubles de Minamata » et des affections respiratoires aigues.

Le boom des « terres rares »

Pourtant, les leçons ne semblent jamais tirées. Actuellement, une autre exploitation fait des ravages sur la santé et l’environnement : l’extraction et le raffinage des terres dites « rares ». Produits à 95 % par la Chine, ces métaux rares sont la cause d’un désastre écologique et sanitaire, notamment dans la ville de Baotou, en Mongolie intérieure.

Constituant un marché de 128 000 tonnes et de 1,25 milliard de dollars en 2011, les « terres rares » contiennent 17 métaux tels que l’yttrium, le dysprosium, le cérium, le néodymium, le lanthane… Ils sont nécessaires pour les industries de haute technologie : aéronautique, électronique, fibre optique, smartphones, Ipod, Ipad, GPS, télévisions LCD, voitures électriques, voire énergie vertes (éoliennes), piles à combustibles mais aussi missiles et bombes « intelligentes ».

Des solvants, des produits chimiques et même radioactifs sont utilisés pour l’extraction et le raffinage de ces métaux, avec une pollution des sites concernés et de leurs nappes phréatiques, ruinant les activités agricoles, multipliant les maladies respiratoires et les cancers.

Enjeux géostratégiques, objet d’une spéculation financière, ces « terres rares » sont en fait assez répandues : l’Australie, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud en recèlent beaucoup. Même l’Europe dispose de gisements exploitables : le Danemark au Groenland, la France en Polynésie.

Mais une extraction moins polluante reviendrait très cher et c’est pourquoi on l’a laissée à la Chine, même si l’on sait que santé environnementale et droits humains n’y font pas bon ménage…

Les minéraux sont des ressources non renouvelables. Un seul smartphone nécessite l’extraction de métaux rares d’une tonne de terre. Les consommateurs et consommatrices doivent être alertés et résister aux modes et à la tendance actuelle au renouvellement rapide de leurs équipements.

Cela concerne aussi le milieu associatif, qui, pour dénoncer tous les problèmes du monde, est grand amateur de technologies de l’information et de la communication…

De Yveline Nicolas

Coordinatrice de l’association Adéquations

www.infonature.net