Édito/Alerte rouge : L’agriculture familiale en péril au Burkina Faso

En décembre 2023, le chef du gouvernement de la transition du Burkina Faso, Apollinaire Kyelem de Tambela a rencontré, au cours d’un dîner, les Hommes d’affaires du Burkina Faso. Il leurs a invités d’investir dans l’agriculture. Info Nature alerte sur les risques de cette décision. 

De Frank POUGBILA 

Le Premier ministre Me Apollinaire Kyelem de Tambèla a promis aux hommes d’affaires que l’État achètera en priorité leurs productions pour l’armée, les prisons, les cantines scolaires, avant d’importer au besoin.

Il a aussi souligné que si les chefs d’entreprises investissent dans le secteur agricole, ils deviendront plus riches, car les populations auront suffisamment d’argent pour acheter les produits de leurs autres secteurs d’activité.

Pour donner l’exemple le président du patronat, Idrissa Nassa, a pris l’engagement devant le Premier ministre, d’investir dans l’agriculture sur 200 hectares . C’était le samedi 9 décembre 2023.

Cette récente incitation du gouvernement Burkinabè à attirer les investissements des Hommes d’affaires vers le secteur agricole est une mesure qui suscite à la fois espoir et appréhension. Si d’un côté elle offre une opportunité de dynamiser l’économie et de répondre aux besoins alimentaires croissants de la population, d’un autre côté elle comporte des risques majeurs pour l’agriculture familiale, pilier historique de la sécurité alimentaire et de la cohésion sociale au Burkina Faso.

Les signaux d’alarme sont nombreux. L’expérience mondiale nous a appris à craindre l’impact dévastateur des grands acteurs de l’agro-industrie sur les systèmes alimentaires locaux. L’arrivée de puissantes entreprises agrochimiques, qui pourraient se comporter comme des Monsanto ou des Pioneer locaux, présente un risque majeur. Leur modus operandi, axé sur l’utilisation intensive de produits chimiques et la monoculture, menace la diversité biologique, la fertilité des sols et la santé des consommateurs.

Mais les dangers vont au-delà de la simple question des pratiques agricoles. L’implication des hommes d’affaires dans le secteur agricole pourrait également conduire à une monopolisation des ressources naturelles, notamment de l’eau. Les barrages de Samandini ou Bagré pole pourraient devenir les pivots d’une agriculture industrielle au détriment des petits exploitants familiaux, qui dépendent de ces précieuses ressources pour leur subsistance.

Au-delà des enjeux économiques et environnementaux, il y a aussi une dimension sociale à considérer. L’agriculture familiale ne se réduit pas à une simple activité économique, mais constitue le socle de nombreuses communautés, leur fournissant nourriture, emploi et lien social. Sa disparition ou son affaiblissement aurait des répercussions profondes sur la cohésion sociale et la stabilité du pays.

Il est donc impératif que le gouvernement Burkinabè prenne des mesures urgentes pour encadrer ces investissements et protéger l’agriculture familiale. Cela passe par l’élaboration de politiques agricoles inclusives, favorisant la participation des petits exploitants et promouvant des pratiques respectueuses de l’environnement et de la santé publique. Il est temps de choisir. Défendre l’agriculture familiale, c’est défendre l’avenir du Burkina Faso tout entier.

Une solution prometteuse pour soutenir l’agriculture familiale tout en impliquant le secteur économique serait d’établir des partenariats entre les entreprises et les agriculteurs locaux. Plutôt que de devenir des concurrents directs, les entreprises pourraient jouer un rôle crucial en fournissant des financements ou des crédits aux agriculteurs pour les aider à développer leurs exploitations.

Ces financements pourraient être utilisés pour investir dans des infrastructures agricoles essentielles telles que l’irrigation, les équipements de production durable, ou encore la formation des agriculteurs aux pratiques agricoles modernes et respectueuses de l’environnement. De plus, les entreprises pourraient offrir un soutien technique et logistique, ainsi que des débouchés commerciaux pour les produits agricoles des exploitants locaux.

En établissant des partenariats solides entre les entreprises et les agriculteurs, on pourrait créer une synergie bénéfique pour les deux parties. Les entreprises bénéficieraient d’un approvisionnement stable en produits agricoles de qualité, tout en contribuant au développement économique et social des communautés agricoles locales.

De leur côté, les agriculteurs familiaux bénéficieraient d’un accès accru aux ressources financières, aux connaissances et aux marchés, ce qui renforcerait leur résilience et leur capacité à prospérer dans un environnement économique en évolution.

Cette approche collaborative, axée sur le partenariat et la complémentarité plutôt que sur la concurrence, pourrait offrir une voie durable et équilibrée pour promouvoir le développement de l’agriculture familiale au Burkina Faso, tout en stimulant la croissance économique et en garantissant la sécurité alimentaire à long terme.

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