Déchets plastiques à Ouagadougou : Entre objectifs nationaux et la réalité du terrain

Dans les trépidantes artères de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, la lutte contre les déchets plastiques reste une lueur. Une bataille épique entre la détermination des volontaires, des autorités et la résistance des habitudes, tandis que les alternatives tardent à se faire entendre.  Info Nature a enquêté sur ce défi colossal face aux engagements écologiques du Pays des Hommes intègres.

De Frank POUGBILA

Au cœur de la métropole bouillonnante qu’est Ouagadougou, chaque coin de rue semble être un champ de bataille contre la pollution. Les déchets plastiques, dont la durée de vie est d’au moins 400 ans, ne se contentent pas d’être des éléments discordants dans la capitale du pays des Hommes intègres. Ils représentent une véritable menace pour l’équilibre écologique. Les sachets plastiques, emblèmes de la vie moderne, sont omniprésents, flottant dans les airs tels des ombres fantomatiques.

À Nonsin, un quartier populaire de Ouagadougou, des sachets plastiques ainsi que des bouteilles en plastique, abandonnés après usage, s’amoncellent en montagnes géantes le long du mur du Camp Sangoulé Lamizana. Les déchets domestiques sont collectés et acheminés vers cette décharge.

montagne d’ordure à Nonsin

Témoignant de son expérience, Mariam déclare : « Je fais le tri des déchets ici pour les revendre. J’exerce ce métier depuis 12 ans ».  Cette femme de 67 ans travaille dans ce dépotoir à ciel ouvert, au cœur de la capitale, afin de subvenir aux besoins de sa famille. Les déchets au sein de Ouagadougou étouffent lentement la ville sous leur emprise toxique. Malgré leur omniprésence, les déchets plastiques demeurent souvent invisibles aux yeux de ceux qui les côtoient au quotidien. « Les odeurs ne me dérangent pas », affirme Mariam. Mais si elle semble à l’aise parmi ces déchets, ce n’est pas le cas pour les populations riveraines. Ces déchets parviennent parfois à s’échapper de la décharge pour se retrouver dans les rues et même dans les foyers lorsque le vent souffle.

Mariam travaille dans ce dépotoir pour nourrir sa famille

La même réalité se répète à chaque coin de rue. Dans les environs du Lycée Mixte de Gounghin, la triste réalité demeure inchangée, symbolisée par un amoncellement d’ordures qui déferle aux pieds de ses murs. Cette vue déconcertante est un rappel poignant des défis persistants en matière d’assainissement. Ces dépotoirs sont visibles également dans plusieurs quartiers tels que Rimkiéta, Karpala, Bénogo, Nagrin, tous des lieux habités de Ouagadougou.

Si la gestion du dépotoir de Nonsin reste un défi en suspens, deux associations, fières et infatigables, se dressent dans la capitale burkinabè contre l’envahissement des déchets solides. Telles des troupes sur le front, une armée de bénévoles s’engage dans une lutte quotidienne, une danse frénétique entre l’homme et la poubelle, pour reprendre le contrôle des rues envahies.

Le vendredi 24 février 2024, l’Association Écologique Albert Schweitzer (CEAS Burkina) est vent debout contre les déchets qui s’amoncellent près de l’école Mixte de Gounghin. Leur objectif : débarrasser ce temple du savoir des ordures qui le souillent. « Nous ne pouvons rester voisins de ces détritus sans agir. Nous sommes fermement engagés dans la lutte contre les déchets solides », déclare le Dr Didace Charles Konseibo, Directeur Général de CEAS Burkina.

Ce jour-là, des centaines de personnes, parmi lesquelles des élèves du lycée, se mobilisent pour rendre le cadre propre. CEAS Burkina, active dans la gestion des déchets solides depuis plus d’une décennie, accompagne plusieurs communes du Burkina Faso dans cette mission. « Nous soutenons financièrement et techniquement plusieurs communes pour une gestion optimale des déchets solides », précise Aly Bilgo, gestionnaire de projet au sein de CEAS Burkina, également expert en gestion des déchets solides.

Mahamadi Ouédraogo est engagé contre les déchets plastiques à travers son Association UTILE

Dans la même lignée que CEAS Burkina, l’Association UTILE s’est résolument investie dans la lutte pour la propreté de la capitale burkinabè. Leur action a transformé les abords du barrage du quartier Boulmiougou, jadis engloutis par les déchets et les odeurs nauséabondes. Sous l’impulsion de Mahamadi Ouédraogo, alias MDI Ouédraogo, et de ses compagnons de lutte, cet endroit négligé a retrouvé une nouvelle vie, affichant un visage rafraîchi et revigoré par la propreté retrouvée. « Notre association vise à sensibiliser les jeunes à l’importance de l’assainissement », explique son président MDI.

La lutte acharnée contre les déchets plastiques à Ouagadougou

Le combat mené par les associations est aussi celui des autorités politiques. Selon le Président de la Délégation spéciale de Ouagadougou, Maurice Konate, la Mairie investit plus de deux milliards de Francs CFA par an dans la gestion des déchets solides. Cette déclaration a été faite lors d’une rencontre avec la Fédération des associations des ramasseurs d’ordures ménagères des villes du Faso, le 28 février 2024.

Malgré cet investissement conséquent, le problème de la prolifération des déchets plastiques persiste dans la capitale, véritable foyer de production des déchets. En effet, Ouagadougou génère plus de 922 000 tonnes de déchets ménagers par an, soit l’équivalent de 2500 tonnes de déchets par jour, dont 130 000 tonnes sont constituées de déchets plastiques, représentant ainsi 14% du total annuel. Ces chiffres alarmants ont été communiqués par le Conseiller technique en charge des questions environnementales de la délégation spéciale de Ouagadougou, Mahamadou Sidi Cissé, lors d’une conférence en avril 2023, et ont été corroborés par le Directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune, Saidou Nassouri. Cet acteur majeur de lutte contre les déchets note que la ville produit 1600 tonnes de déchets par jour, dont 356 tonnes de déchets plastiques.

Séance de salubrité près du mur Lycée Mixte de Gounghin

Face à cette situation critique, la municipalité ne reste pas les bras croisés. Un projet d’assainissement des quartiers périphériques de Ouagadougou, d’une valeur de 90 milliards de Francs CFA, est en cours d’élaboration. Ce projet, qui implique la Banque africaine de développement, l’État et divers partenaires, vise à traiter à la fois les déchets liquides et solides. Elle a aussi pris l’arrêté en 2008-150 CO/SG/DP du 23 décembre 2008 portant interdiction formelle de jeter des ordures sous peine d’amendes.

Parallèlement, le ministère en charge de l’Assainissement a approuvé, depuis le 19 janvier 2023, une Stratégie nationale de gestion des déchets plastiques pour la période 2023-2027, d’un montant total de 20 milliards 700 millions de Francs CFA. Cette stratégie ambitionne de valoriser et de gérer de manière plus efficace les déchets plastiques au Burkina. Dans le même ordre d’idées, le Fonds d’intervention pour l’environnement (FIE) a lancé, le 18 décembre 2023, un appel à projets dédié à la lutte contre les déchets plastiques, doté d’une enveloppe de 750 millions de Francs CFA. Pas moins de 281 dossiers bruts ont été enregistrés pour les sous-volets portant sur la production d’emballages alternatifs au plastique et la collecte, le traitement et la valorisation des déchets plastiques.

La mairie de Ouagadougou mène des actions contre les déchets plastiques

Le 6 février 2024, le Fonds d’Intervention pour l’Environnement (FIE) a amorcé l’élaboration d’un plan d’actions triennal dans la lutte contre les déchets plastiques. Selon le Directeur général du FIE, Delwendé Davy Nanéma, cette initiative vise à établir une programmation triennale pour le plan d’actions de lutte contre les déchets plastiques du comité thématique environnement et cadre de vie. De plus, elle vise à renforcer les capacités du personnel du FIE, de la Direction générale de la protection de l’environnement, ainsi que des acteurs impliqués dans le recouvrement de la taxe sur les emballages et sachets plastiques, qu’ils soient biodégradables ou non, autorisés par la loi n°17-2014/AN du 20 mai 2024, interdisant la production, l’importation et la distribution des emballages et sachets plastiques non biodégradables.

En ce qui concerne les taxes, une taxe de 5% est appliquée sur la valeur ajoutée des importations et de la fabrication des sachets plastiques. Lors de son discours devant l’Assemblée législative de Transition le 21 juillet 2023, le Ministre de l’Environnement, Roger Baro, a révélé que le gouvernement a pu mobiliser plus d’un milliard de Francs CFA en mai 2023, contre 800 millions en 2022, grâce à cette taxe. En 2021, 120 000 tonnes de sachets plastiques ont été importées au Burkina avec l’autorisation de l’exécutif.

Précédant ces actions, le 30 avril 2022, les autorités de la Transition ont lancé l’Opération Mana-Mana : mon acte patriotique pour ma ville. Cette initiative du ministère des Sports vise à susciter l’engagement de toutes les couches de la société autour d’actions d’assainissement des villes et villages. De plus, le Burkina dispose de cinq appareils pour tester les emballages et sachets plastiques, ainsi que cinq centres de traitement et de valorisation d’une capacité de 2 à 5 tonnes de déchets par jour.

Des initiatives locales dynamisent la gestion des déchets

Au-delà des actions politiques, une multitude de projets et d’initiatives se déploient pour améliorer la gestion des déchets, en adaptant leurs approches aux besoins spécifiques de chaque communauté. Dans cette optique, la ville de Ouagadougou se distingue par son engagement. Parmi les acteurs majeurs de ces efforts figurent des organisations telles que CEAS Burkina, intervenant à travers tout le pays, avec une attention particulière portée aux zones les plus vulnérables et aux régions les plus affectées par la pollution.

Depuis 2019, CEAS Burkina apporte son soutien à la commune de Ouagadougou ainsi qu’aux communes périphériques telles que Saaba, Koubri, Komki-Ipala, et Pabré, à travers le projet d’Appui à la gestion des déchets dans les villes secondaires. Parallèlement, le Projet RECOSI (Recyclage des Ordures pour une Cité Saine), lancé la même année pour une durée de quatre ans, concentre ses efforts sur la capitale du pays. En mettant en place des centres de collecte et de valorisation des déchets dans les quartiers les plus touchés par la pollution, RECOSI vise à promouvoir une gestion plus efficace des déchets à Ouagadougou.

De même, le Programme de gestion intégrée des déchets solides urbains (PGIDSU), initié en mars 2019, s’attelle à améliorer la situation dans plusieurs villes burkinabè, dont Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Kaya. En concertation avec les autorités locales et les communautés concernées, ce programme élabore des plans d’action intégrés qui prennent en compte les particularités de chaque région en termes de production de déchets et d’infrastructures disponibles.

Ces multiples projets et initiatives attestent de l’engagement croissant du Burkina Faso dans la gestion des déchets, démontrant ainsi une prise en compte des réalités locales et une mobilisation des communautés pour des solutions durables et adaptées à leur environnement.

La législation en matière de gestion des déchets plastiques

Le Burkina Faso, dans sa quête pour résoudre le fléau de la pollution causée par les déchets plastiques, a pris des mesures juridiques drastiques. La loi n°17-2014/AN du 20 mai 2014 a ainsi été instaurée, interdisant la production, l’importation et la distribution d’emballages et de sachets plastiques non biodégradables. Pour faire respecter cette loi anti-déchets, plusieurs décrets et arrêtés ont été promulgués.

Parmi eux, le décret n°2015-798/PRES-TRANS/PM/MERH du 3 juillet 2015 établissant les contraventions et amendes administratives applicables en matière d’emballages et de sachets plastiques ; l’arrêté n°2015-0361/MERH/CAB du 27 février 2015 fixant les conditions d’utilisation, de récupération et d’élimination des emballages et sachets plastiques non biodégradables non interdits (dans les domaines de la santé, de la sécurité et de la recherche) ; l’arrêté n°2015-037/MERH/CAB du 27 février 2015 définissant les procédures d’homologation des emballages et sachets plastiques biodégradables.

Dans le domaine de la gestion des déchets, des initiatives telles que la Politique et Stratégie Nationale d’Assainissement (PNSA), adoptée en juillet 2017, ont été mises en place pour apporter des solutions durables aux problèmes liés à l’assainissement. De même, la Stratégie de Développement Rural (SDR) à l’horizon 2025, adoptée en 2003 et révisée en 2015, vise à améliorer les conditions de vie en promouvant un environnement sain.

Une image de la phase de nettoyage aux alentours du Lycée Mixte de Gounghin

Cependant, malgré ces lois et stratégies, la prolifération des déchets plastiques persiste. Les raisons de cette omniprésence des plastiques dans notre quotidien sont multiples.Malgré ces actions, le mal perdure ?

À cette interrogation, les avis sont divers. Pour le président de « Être Utile », Mahamadi Ouédraogo, plus connu sous le nom de MDI Ouédraogo, l’objectif simple qui est de rendre la ville plus propre et plus saine pour tous sera impossible si « nous ne changeons pas les mentalités. Il faudrait aussi sensibiliser nos concitoyens à l’urgence de la situation des déchets plastiques ». Il conte une anecdote. « Un jour, en circulation, un taxi maître a bu son eau et jeté le sachet sur le goudron. J’ai pris le sachet et je l’ai poursuivi pour le lui remettre. Il est fâché et me fait savoir que c’est son droit de jeter le sachet parce qu’il paie les impôts ». En clair, il pointe du doigt le manque d’éducation environnementale.

Le Directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune de Ouagadougou, Saïdou Nassouri, explique que malgré le dévouement sans faille de la mairie et de ses partenaires, qui sont les structures de collecte et de gestion des déchets plastiques, ils se heurtent à un adversaire coriace : l’indifférence. Monsieur Nassouri témoigne de leur combat quotidien contre la négligence et l’ignorance. « La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est l’insuffisance de la sensibilisation de la population mais aussi l’incivisme de certaines personnes », confie-t-il, le regard empreint de résignation. C’était le 24 février 2024 à Gounghin alors qu’il prenait part à la séance de salubrité du Lycée mixte de Gounghin initiée par le CEAS Burkina. « Malgré nos efforts pour collecter les déchets, beaucoup continuent à les jeter négligemment dans la rue, perpétuant ainsi le cycle de la pollution », ajoute le Directeur en charge de la salubrité de la commune.

Expert en Gestion des déchets solides, Aly Bilgo invite les autorités à mettre les moyens pour une bonne gestion des déchets plastiques.

Cette dure réalité est également confirmée par Aly Bilgo, expert en gestion des déchets solides. Pour lui, la clé du succès réside dans l’éducation environnementale, un enseignement vital pour briser les chaînes de l’indifférence et de l’ignorance. « Tant que la population ne sera pas sensibilisée aux enjeux de la gestion des déchets et à l’impact néfaste des plastiques sur l’environnement, il sera difficile d’obtenir des résultats durables », affirme-t-il avec gravité.

Le Burkina peut-il atteindre son objectif CDN ?

Si tous les acteurs sont unanimes que malgré les efforts, la prolifération des déchets plastiques demeure, il est important de s’interroger sur les conséquences de ces déchets sur l’environnement. Nous sommes dans le quartier Ouaga 2000. Ce lundi 4 mars 2024, nous avons rencontré le Spécialiste en atténuation et adaptation en Changements Climatiques dans le cadre du Projet appui à la promotion de la Contribution déterminée au niveau national (CDN), Daniel Ilboudo. Il fait savoir que le Burkina a pour objectif de réduire de 29,42% les émissions des Gaz à effets de serre (GES) d’ici à 2030 et 34,43% à l’horizon 2050.

Evoquant la Troisième communication nationale sous la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, d’avril 2022, le spécialiste note que le secteur des déchets est caractérisé par une hausse de quantité de production de GES.  « Les déchets viennent en troisième position en matière d’émission de gaz à effet de serre avec 2,6% », fait-il savoir. Le document ajoute qu’il y aura une hausse de la prolifération des déchets au regard du rythme de la production. « Le secteur des déchets peut compromettre l’atteinte de ces résultats », se désole Monsieur Ilboudo. Une inquiétude qui intervient dans un moment que le Burkina a opté pour l’adaptation et une résilience avec une réduction de 30,76% d’ici 2030 des GES.

Daniel Ilboudo, spécialiste en atténuation au changement climatique, invite à une gestion à la base des déchets plastiques.

Comme thérapie, le spécialiste suggère la rigueur dans l’application de la loi n°17-2014/AN du 20 mai 2014 portant interdiction de la production, de l’importation et de la distribution des emballages et sachets plastiques non biodégradables. Il recommande le renforcement de la fiscalité carbone sur l’importation des sachets plastiques. Au niveau des ménages, il conseille le tri à la base des déchets mais surtout une valorisation du plastique en objets utilitaires comme des tables bancs, des tubes. « Pour réduire les émissions des GES, il faut des comportements éco-citoyens en utilisant des paniers alternatifs. Il faut réduire la consommation en sachets plastiques », prône monsieur Ilboudo.

L’expert en Gestion des déchets solides, Aly Bilgo, lui, recommande une éducation environnementale à la base notamment dans les écoles. Aussi, il demande que l’autorité politique ait un regard particulier sur la gestion des déchets solides. « Il y a moins de ressources financières pour la gestion des déchets solides », selon l’expert.

Lire la vidéo via YouTube Déchets plastiques à Ouagadougou : entres objectifs nationaux et réalités du terrain 

Encadré 

En 2050, la production mondiale de déchets devrait atteindre 3,4 milliards de tonnes par an, contre 2 milliards aujourd’hui. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), plus de 400 millions de tonnes de sachets plastiques sont produits annuellement, avec seulement 10 % recyclés. De plus, les microplastiques (de moins de 5 mm de diamètre) contaminent désormais les aliments, l’eau et l’air, avec chaque individu ingérant plus de 50 000 particules de plastique provenant de l’air.

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