Burkina Faso : des éleveurs pris entre l’étau des changements climatiques, terrorisme et corruption

Les effets du changement climatique constituent aujourd’hui l’une des causes majeures de l’exode rural des jeunes au Burkina Faso. La rareté des pluies, l’amenuisement des pâturages pour les bétails sont entre autres les facteurs de départ de nombreux éleveurs vers des cieux plus favorables à leurs activités. À cette crise, se greffe le terrorisme dans les pays du Sahel. Empêchés par les groupes armés terroristes de paître leurs troupeaux, les éleveurs s’orientent également vers des zones de transhumance où l’herbe est plus verte et peu stable. 

Mais cet exode réserve souvent de mauvaises surprises pour les migrants qui sont souvent confrontés sur leurs terres d’accueil à des situations de racket ou de violence de la part des populations autochtones ou des autorités locales. Enquête sur le calvaire des migrants climatiques au Burkina Faso.

Kadré vient de Koumassi, une ville du centre du Ghana, pays voisin au sud du Burkina. Il a parcouru 1200 kilomètres. Alidou, lui, est Burkinabè. Il a parcouru 400 kilomètres. A.M est aussi Burkinabè et a dû laisser 350 kilomètres derrière lui pour profiter des pâturages du Nahouri. Tous les trois sont des éleveurs. Ici dans la province du Nahouri, au sud du Burkina, ils sont venus chercher une survie pour ce qui compte le plus pour eux : leurs bétails.

À 145 kilomètres au sud de la capitale du Burkina Faso et à quelques 15 kilomètres de la frontière avec le Ghana, cette vaste plaine verte et arrosée du Nahouri accueillait, en mai 2022, autour de 265 pasteurs ayant migré à la recherche d’un pâturage pour leurs troupeaux.

1 457,75 hectares de superficie vendus illégalement…

Alidou s’est installé à Guiaro, l’une des cinq communes de la province du Nahouri. Située à 45 kilomètres de Pô, chef-lieu de la province, Guiaro est la zone pastorale par excellence de cette région du Centre-Sud. À son arrivée ici, en 2020, il a dû débourser 400 mille FCFA, pour obtenir le droit de faire paître ses bêtes pour son séjour de 4 mois. Problème, il n’aurait jamais dû payer et ceux qui lui ont pris cet argent, n’avaient aucun droit de le faire.

À Boassan, l’un des 6 grands villages de Guiaro qui abrite de nombreux éleveurs, ces derniers sont obligés, dès leur arrivée, de payer entre 60 mille et 150 mille FCFA par hectare pour installer leur enclos, selon plusieurs témoignages que nous avons recueillis sur place. Là aussi, il s’agit d’un racket, sans aucun fondement légal, dont profite un groupe de villageois qui en fait un véritable business. Ceux qui obligent les éleveurs à leur verser de l’argent leur attribue ensuite, en contrepartie, des superficies de pâturage situées dans un domaine de l’État, pourtant réservé aux activités pastorales.

La zone pastorale de Guiro a une superficie de 6680 hectares
(Extrait du PV (2001)de cession des terres pour la zone pastorale de Guiaro )

La zone pastorale de Guiaro, par exemple, est un domaine foncier de l’État délimité par arrêté 2001 avec une superficie de près de 7 000 hectares où il est interdit de mener des activités autres que le pastoralisme. Cet espace censé accueillir, gratuitement, les éleveurs migrants est accaparé par des responsables communaux. Près de « 1 457,75 hectares de superficie ont été occupés illégalement et vendus de mai à juillet 2022 », selon un chef de ladite Zone pastorale, à en croire des données compilées dans un rapport et adressé à la Direction régionale en charge de l’élevage que nous avons pu consulter. Cette surface représente le quart de la superficie totale de la zone pastorale de près de 7 000 ha.

Dans le village de Guiaro, parmi les membres du groupe qui se sucrent sur le dos des migrants, on compte parfois des membres du Comité de gestion (COGES) de ladite Zone pastorale. Ce COGES, dont les membres sont désignés parmi les autorités locales et les leaders communautaires, a pour rôle de sécuriser la zone pastorale au profit des éleveurs. Mais l’appât du gain a poussé certains de ses membres à initier et alimenter une économie illicite au détriment des éleveurs.

Ce serait le cas de Atiga Etienne Zibaré, leader local et membre du COGES. Deux ex-conseillers municipaux ont aussi les plus vastes terrains défrichés : Mathieu Idogo, ancien deuxième adjoint au maire et Adama Nikiéma, président de la Chambre régionale d’agriculture de la commune de Guiaro. À leurs victimes, ils disent agir au nom de la mairie de Guiaro. La révélation de ce “gang” est le fruit d’une enquête menée par les responsables de la zone pastorale de Guiaro, le 12 janvier 2020 à la demande de la Direction régionale des Ressources animales et Halieutiques du Centre-Sud.

D’ailleurs, dans une note d’explication à la Direction régionale en charge de l’élevage du Centre-Sud, le secrétaire général de la mairie de Guiaro rejette les allégations desdits conseillers municipaux, selon lesquelles ils agissent au nom de la mairie. Pour lui, la commune n’est pas mêlée ni de près ni de loin à cette initiative de vente de la zone pastorale.

Cette affaire de vente des terrains de la zone pastorale est pourtant un secret de polichinelle à Guiaro. Elle a même commencé depuis 2014. Un premier rapport, que nous avons consulté, avait été adressé à la Direction régionale en charge du pastoralisme dans lequel une mission de supervision avait fait le point de la situation le 5 mai 2014. C’était par suite d’une alerte du chef de la zone pastorale. Celui-ci tirait la sonnette d’alarme sur l’occupation de la zone par des migrants déguerpis des forêts de l’Ouest.

Un second rapport de la Direction générale des espaces et des aménagements pastoraux en date du 25 février 2020 est aussi disponible et fait le point des difficultés de cohabitation entre éleveurs et populations autochtones.

Malgré ces différents rapports, dont sont informées les autorités locales, rien n’a été fait pour mettre fin aux agissements de ce qui apparaît comme une mafia. Ni le ministère des Ressources animales et halieutiques, qui a d’ailleurs signé un Arrêté en 2022 portant approbation des Cahiers des charges spécifiques de la zone pastorale de Guiaro, ni le Gouvernorat du Centre-Sud chargé de la politique environnementale de la région, pas même le Haut-commissariat de la province du Nahouri, ni la mairie chargée de la bonne gestion de la ZAP, encore moins les services environnementaux chargés de faire appliquer la loi n’ont pris aucune initiative pour arrêter les auteurs de ces ventes illégales de domaine public. Les actions de ces autorités se résument aux communiqués, aux rencontres de concertations et de sensibilisation. Toutes choses qui n’ont pas stoppé l’occupation et la vente illégales des terres.

Un agent des Eaux et Forêts réclame 300 000 FCFA

Dans cette partie du Burkina, les populations locales tendent à transformer la zone réservée aux activités pastorales en des terres agricoles. Les transhumants sont sommés par des autochtones de déguerpir. En 2016, confie Alidou, des concessions des migrants ont été incendiées et les animaux abattus à Boassan.

Le début de cette affaire remonte à 2014. Une centaine de migrants déguerpis des forêts de l’ouest de Guiaro par les services techniques de l’Environnement du Nahouri s’installent avec la complicité de certaines personnalités communales dans la zone pastorale. Cette situation pousse des populations riveraines à occuper à leur tour, de façon illégale, la zone pastorale. Cette cohabitation teintée de tension entre locaux et migrants finit par dégénérer en conflit ouvert en 2016, avec une chasse à l’homme. 127 personnes se retrouvent sans abris par la suite, selon la mairie de Guiaro.

Même les pistes spécialement réservées au déplacement des troupeaux sont occupées. « Lorsque nos animaux traversent près des champs, des agriculteurs les capturent et nous fixent des sommes à payer. J’ai payé plusieurs fois à des particuliers pour faire libérer mes bœufs. Mon fils a conduit mes bœufs pour traverser une piste rurale en 2021. Les agriculteurs se sont organisés et ont capturé les animaux sous prétexte que l’enfant a laissé 72 bœufs entrer dans leurs champs. Ils ont réclamé 12000 francs par bœuf », nous a confié Alidou.

De cette situation, les complices seraient, là encore, dans l’administration : la mairie et les services de l’Environnement de Guiaro. L’absence d’application des textes afin de protéger les droits des éleveurs, le refus de dire le droit en cas de litige sont des raisons qui renforcent le sentiment des éleveurs que tout un système est mis en place pour les dépouiller.

« Pour l’argent réclamé afin de libérer mes animaux, je n’étais pas d’accord. Pour trouver une solution, j’ai été à la rencontre d’un conseiller municipal de Guiaro et il m’a dit d’aller à la mairie. J’y suis allé plusieurs fois pendant plusieurs jours sans être reçu. Finalement, un monsieur m’a reçu dans un bureau et m’a conseillé d’aller m’entendre avec les agriculteurs et payer pour les dommages causés. Il dit que la mairie ne peut rien. J’ai payé 320 000 francs CFA après négociation. Je n’ai pas reçu un papier qui atteste le paiement. Ils ont pris l’argent et ont libéré mes animaux après quatre jours de détention. C’est comme ça, avec nous les éleveurs venus d’ailleurs. Nous payons des amendes à la fourrière et aux forestiers. De même les agriculteurs nous volent », poursuit le migrant pastoral.

Autre commune, même réalité. A Pô, chef-lieu de la province du Nahouri qui abrite une forte communauté d’éleveurs dans les hameaux de culture, nous avons remarqué que les couloirs officiels de transhumances sont accaparés par des champs agricoles. C’est le cas des espaces de pâture de Kampala, un grand village situé à une vingtaine de kilomètres à l’est de Pô; et celui entre les zones dites secteur 8 et le secteur 4, autour de la ville de Pô.

Le chef du service de l’Élevage de la Commune de Pô, Dahouda Sawadogo, dit assister de façon impuissante à cette occupation des zones pastorales. En clair, les services techniques de la commune sont au courant de cet accaparement des zones de transhumance. Cette situation contraint les éleveurs transhumants, qui migrent avec un grand nombre de bœufs, à se déplacer avec leurs troupeaux vers les aires protégées telles que les forêts du Parc Nazinga, et le Parc national Kaboré Tambi (PNKT), situées respectivement à 42 kilomètres et 15 kilomètres de la ville de Pô. Ils tombent ainsi, à leur tour, sous le coup de la loi, en laissant leurs animaux pénétrer dans les aires protégées, ce qui les expose à un autre type de racket.

A.M a quitté la région de l’Est à plus de 350 kilomètres pour s’installer à Pounkouyan, un village à l’est de la ville de Pô. Il est originaire du Nahouri et est un transhumant international. Avec ses centaines de bœufs, il parcourait chaque année le Ghana, pays voisin du Sud, et Mali, voisin de l’Ouest, à la recherche des zones de pâture. Dans son pays, le Burkina Faso, il faisait paître ses animaux dans le Centre-Est, l’Est, le Sud-Ouest et le Centre-Sud. Mais avec la dégradation de la situation sécuritaire dans ces parties du pays, caractérisée par des attaques terroristes, il est depuis 2020, fréquent à Pô. L’éleveur, membre de l’Association des Emboucheurs de Pô, nous révèle une pratique de prédation dont sont victimes les transhumants.

AM, victime de corruption, par ailleurs membre de l’Association des Emboucheurs de Pô fait savoir que les transhumants subissent énormément les rackets dans cette partie du Burkina

Le 23 avril 2022, il reçoit une convocation du service départemental de l’Environnement de Manga, chef-lieu de la province du Zoundwéogo, pour affaire le concernant. « J’ai vite compris que c’est une affaire en lien avec mes bœufs. Je sais aussi ce que les forestiers veulent dans ce cas de figure », explique le transhumant. Il décide alors d’appeler le numéro mentionné sur la convocation. Il se présente et entame des négociations après que le motif de la convocation lui a été confirmé : « Divagation de votre bétail dans le Parc national Kaboré Tambi ». Son interlocuteur n’est autre que le responsable des agents forestiers de Manga. Dans les négociations, le forestier lui propose de payer 300 000 francs CFA. Il négocie et paye finalement 50 000 francs CFA via mobile money. « Cette manière de faire nous arrange. Quand les animaux arrivent à la fourrière, nous payons de fortes sommes. J’ai déjà payé plus de 900 000 francs à la fourrière et plusieurs fois des sommes de 200 000, 250 000 francs CFA. Avec les forestiers en patrouille, nous négocions des paiements gré à gré. Nous faisons des paiements en espèce ou des transactions mobile money », narre la victime venue de l’est du pays.

Cette pratique est contraire à la loi. Pour comprendre la situation, nous avons contacté le chef de service départemental de l’Environnement de Pô, le Lieutenant des Eaux et Forêts, Jean-Luc Eloi Wend-Benedo Zemba. Il explique qu’en cas de divagation des animaux dans les aires protégées, les propriétaires des bêtes sont interpellés ou les animaux conduits à la fourrière. Conformément au Code forestier et en fonction de la nature de l’infraction, il y a une fourchette de contravention prévue par la loi.

Le chef de service départemental de l’Environnement de Pô, le Lieutenant des Eaux et Forêts, Jean-Luc Eloi Wend-Benedo Zemba fait savoir que les agents qui s’adonnent à la corruption sont punis sévèrement

Une autre technique est développée par des forestiers pour se faire de l’argent. La victime explique : « Il arrive des moments où tu es assis dans ton enclos et des forestiers font irruption et conduisent tes animaux. Ils prétextent que du bétail est rentré dans la forêt et c’est le tien. Ils disent avoir suivi les traces des pattes des animaux qui les ont conduits chez toi ». Avec cette prétendue “preuve”, des forestiers imposent des prix à payer. « Lors des rencontres avec les autorités communales et provinciales, nous dénonçons ces pratiques mais il n’y a aucun changement », renchérit notre témoin.

Lorsque nous l’avons interrogé sur ces pratiques de racket dont se plaignent les éleveurs au sujet de ses hommes, le chef de service départemental de l’Environnement de Pô, le Lieutenant des Eaux et Forêts, Jean-Luc Eloi Wend-Benedo Zemba dit qu’il n’en sait rien. Il affirme qu’aucune instruction n’est donnée aux hommes de prendre de l’argent sur le terrain.

Le directeur régional des Ressources animales et halieutiques de la région Centre Sud, Jean Simporé, reconnaît cependant, avoir été saisi pour des dénonciations. Il nous explique que lorsqu’un animal fait intrusion dans les aires protégées, il existe en principe une fourrière des agents forestiers. Mais, l’État donne la possibilité aux agents assermentés de transiger. Ce qui consiste à négocier avec le service de l’Environnement pour la réduction lorsque le prix est exorbitant. C’est là que naît la corruption.

Dans ce cas de figure, les forestiers ne délivrent pas toujours des reçus et l’argent va dans leur poche. « J’ai reçu plusieurs plaintes des éleveurs », confirme-t-il. Il ajoute qu’un éleveur a même été tué par un agent des Eaux et Forestiers à Gon-boussougou en 2019, dans la province voisine du Zoundwéogo, l’une des trois provinces de la Région du Centre-Sud, pour avoir refusé de payer une contravention qu’il jugeait trop élevée. « Le transhumant a trouvé la somme élevée et il a décidé de repartir sur sa moto. Quand il a démarré, ses animaux l’ont suivi. Il a été fusillé. L’agent forestier, auteur de la tuerie, a été déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Manga en attendant son procès ». Selon une source proche de la juridiction de Manga, le dossier n’est toujours pas passé en jugement.

Tiébélé est une autre commune du Nahouri, à 30 kilomètres à l’est de la ville de Pô. Les cas d’extorsion d’argent n’y sont pas, non plus, rares. Kadré S. transhumant burkinabè vivant au Ghana depuis 1985, et ses « collègues migrants » en savent quelque chose. Kadré retourne chaque mois de novembre, saison des récoltes, au pays pour faire paître une partie de son bétail. Il y réside jusqu’en mai avant de regagner le Ghana. Contraint par les aléas climatiques à revenir régulièrement au Burkina pour faire paître ses animaux, il doit aussi subir les pratiques d’extorsion.

Kadré S. , victime de corruption, confie que cette corruption est aussi orientée plus vers les transhumants peuls.

Pour abreuver leurs animaux, les transhumants sont invités par les villageois à cotiser chacun 25 000 francs CFA par an pour la réhabilitation du barrage de Kaya, un village de Tiébélé. « Nous cotisons depuis maintenant 5 ans. Le barrage n’a pas été réhabilité. Le paiement se fait sans aucun reçu pour justifier l’état de paiement », confie l’éleveur. Pire, les producteurs de piment ont accaparé les alentours du barrage. Trouver des pistes d’accès au barrage avec du bétail est un casse-tête. Malgré cette situation, si les animaux piétinent une partie du piment, ils sont capturés et gardés dans des fourrières créées illégalement pour l’occasion.

Les producteurs fixent un prix à payer avant de libérer les animaux. Certains exigent de l’argent et d’autres réclament de l’engrais. « En mai 2022, j’ai payé à un propriétaire de champ de piment 3 sacs d’engrais pour dédommagement, car mon berger aurait fait piétiner son piment par un de mes bœufs. Certains éleveurs sont obligés d’acheter des dizaines de sacs d’engrais afin de voir leurs animaux être libérés », confie l’éleveur.

A la Direction régionale des Ressources animales, censée mettre fin aux différentes opérations de racket, on se contente d’un constat. « Kaya est une zone conflictuelle. J’ai appris de façon officieuse ce que subissent les éleveurs dans cette localité. J’ai donné l’ordre au directeur provincial de mener des investigations », confie le directeur Jean Simpore avant d’ajouter que « les fourrières sont faites pour les animaux en divagation dont les propriétaires sont inconnus. Hélas, on voit que la fourrière est devenue une source de revenus pour les communes ».

Une source bien illégale, au détriment d’une catégorie de personnes déjà suffisamment vulnérabilisées par les situations extrêmes.

Frank Pougbila

(frank.pougbila@infonature.net)

Enquête réalisée avec le soutien de la CENOZO

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