SK, de retraité fauché à agriculteur millionnaire

Dans la Boucle du Mouhoun, un agriculteur se fait remarquer de par la qualité de son travail. Militaire à la retraite, il a opté de vivre sa retraite en plein champ. Amoureux de la nature et passionné de l’agriculture, l’homme est un fin agro écologiste, qui produit un ” cocktail » de spéculations tout en restant soucieux de l’environnement. Dans sa zone, il a inspiré plusieurs jeunes et vieux à pratiquer l’agriculture. Nous vous proposons son portrait, malheureusement pour des questions de sécurité, nous avons préféré garder l’anonymat.

De Emmanuel GOUBA

SK, affiche toujours un visage rayonnement. Fréquemment floqué en survêtement, le vieil homme se donne l’allure jeune, sauf trahit par sa chevelure blanchâtre. Discret et bosseur, la physionomie de l’homme en dit long sur sa personne. Sur ses pas, les traces des pas bloqués se font voir : sérénité et rapidité. L’homme a fait la fierté de l’armée burkinabè pendant plus de deux décennies. C’est d’ailleurs là, qu’il bonifie sa passion pour l’agriculture emmailloté de gênes de la révolution de Thomas Sankara enclenchée en 1983. En effet, en 1984, il est admis au concours de recrutement de soldats et achève sa formation au cours de la même année. Au sortir de sa formation, il sera à nouveau formé, avec 14 autres jeunes militaires, comme tractoriste de l’armée et envoyé dans les champs militaires. Depuis lors, la passion de la terre n’a cessé de grandir en l’homme. Frappé par l’analphabétisme, il part à la retraite sans véritablement monter en grade. Mais, le natif de la Boucle du Mouhoun se réjouit d’avoir apporté sa contribution aux Forces armées nationales surtout dans la production agricole. Au lendemain de sa retraite en 2006, l’homme retrouve son Mouhoun natal pour s’adonner à l’agriculture.

De la Kalach à la daba

Marié et père de quatre enfants, SK n’arrivait pas à épargner grand-chose avec son salaire de soldat. « Je suis parti à la retraite sans un franc. Oui je suis parti les mains vides. Néanmoins j’avais pu payer 3 hectares au bord du fleuve. Je n’avais pas de moto, c’était vélo dame », raconte le vieux SK. Et, c’est sur ces trois fameux hectares que tout à commencer. Rien en main pour s’acheter des équipements de bases pour sa production, alors qu’il débordait de rage de cultiver la terre. Selon ses dires, il est parti commencer à défricher son champ au bord du Fleuve Mouhoun. Ces proches étaient impatients de savoir comment il allait se débrouiller pour irriguer son champ. Et c’est-là dit-il, que j’ai trouvé deux arrosoirs pour irriguer mon champ à la main. « Avec les deux arrosoirs, j’allais puiser l’eau du fleuve pour arroser. Il fallait faire plusieurs aller-retour pour espérer bien irriguer le champs », se remémore-t-il. C’est ainsi qu’en moins de deux années de dur labeur, il parvient à s’acheter sa première motopompe. Là, son business venait de prendre son envol. Il commence à recruter de la main d’œuvre pour exploiter tout le champ. Son chiffre d’affaire grimpait et il s’équipait de mieux en mieux au point de s’acheter un tracteur d’une valeur de 9 millions de F CFA. De plus, il acquit plus de 6 hectares où il mène l’agriculture pluviale.

De la descente aux enfers, à la résurrection

Tout va bien pour SK et sa famille jusqu’en 2020. Alors que son business marche, il commence à recevoir de la visite des personnes aux intentions criminelles. (C’est d’ailleurs la raison pour laquelle que nous traçons ses lignes sous anonymat par mesure de prudence). Une douloureuse expérience que le vieil homme peine à raconter, d’ailleurs, il en parle rarement. Pour des questions de sécurité, il est contraint de quitter son périmètre pour préserver « son nez », pour emprunter les mots de l’ancien président Paul Henri Sandaogo Damiba. Abandonnant ses trois hectares de terres alors qu’ils portaient de l’oignon presqu’à terme.

Une vue partielle de la parcelle de papaye de SK

Une déception qui n’entache en rien la détermination de l’homme pour la terre. Il parvient donc à s’acquérir un terrain de 1,25 hectare qu’il met en valeur afin de reprendre ses activités agricoles. Sur ce site relativement petit, l’espoir renait et il arrive à réaliser de grandes choses. Puisqu’il manque d’eau pour pratiquer l’agriculture de contre-saison, il se met donc à creuser pour trouver l’eau. Il parvient à en avoir au bout de 10 m de profondeur, un volume d’eau estimé à 2 m3. Ainsi, il retrouve de la ressource pour créer son micro climat, où il développe assez d’initiative.

Périmètre d’oignons de SK

Sur son périmètre de 1, 25 hectares, l’homme fait pousser un cocktail de spéculations. Il s’agit entre autres, du maïs, du riz, de la tomate, du chou, de la verveine, du moringa, de la patate douce à chair orange et bien d’autres plantes. « C’est un site où, je fais tout dedans » déclare le sexagénaire. Tout lui réussit visiblement dans son champ. Dans cette gamme variée de semis, la quasi-totalité présentent une bonne physionomie pendant que certains plants sont en maturité, d’autres par contre sont en phase de montaison.

Un agro écologiste en esprit et dans les faits

Pour le vieux SK, la terre ne ment, elle donne tout mais il faut savoir l’entretenir. Voici la philosophie de l’homme qu’il développe tant sur le plan théorique que dans la pratique. « Aucun pesticide chimique n’entre dans ce champ », insiste l’ancien militaire. Il explique, qu’un bon agriculteur est d’abord celui qui sait fabriquer le compost, qui pour lui constitue la nourriture de la terre. Cela requiert des producteurs la rigueur, la patience et l’abnégation et qu’ils s’adonnent entièrement à l’agriculture. « Je dis toujours à mes connaissances, ce n’est pas après la récolte qu’il faut donner dos au champ. Bien au contraire, le champ c’est comme un bureau, chaque jour, il faut y aller, le champ te réclame toujours », souligne l’agro écologiste. D’ailleurs, il persiste et signe : « la terre parle, sauf qu’on n’a pas le temps de l’écouter, il dit : j’ai faim, j’ai besoin de manger », révèle le vieil homme. Et il ajoute que, si quelqu’un donne à manger à la terre, elle lui donnera en retour à manger. C’est la raison pour laquelle il estime que le secret de l’agriculture, c’est le compost. Et pour en fabriquer il affirme que ce n’est pas la mer à boire, mais juste une question de volonté. Toutefois, il explique qu’il fabrique lui-même son compost. « Au lieu de d’utiliser mes revenus pour acheter du poison (nldr : pesticides chimiques), je me concentre et je fabrique mon composte à moindre coût », indique Monsieur SK.

Du côté Est de son jardin, se trouve le puits de monsieur SK munie d’un système d’irrigation qu’il a lui-même trouvé. Cette source d’eau, déclare-t-il, lui permet de pouvoir irriguer son champ en saison pluvieuse tout comme en saison sèche. Pour alimenter ce système de drainage en électricité, le fermier dit tirer l’énergie soit des panneaux solaires qu’il a installés, soit de son bio digesteur qu’il a lui-même mis en place pour faire fonctionner la motopompe.

« Aujourd’hui, il y a moins de terre cultivable et il faut que l’État travaille à préserver au moins, le peu qui reste en prenant des mesures strictes et dire que la terre appartient à l’Etat. Sinon ce ne serait pas bon pour demain», prévient SK.

 

Un bio digesteur alimenté à la fois par les excréments d’animaux et les selles humaines. De ce processus de transformation de débris en énergie, sortent des rejets très utiles à la fertilisation des sols. Ses débris constituent aussi de bon répulsif aux insectes. C’est donc d’« une pierre deux coups », comme le dit-on dans le jargon burkinabé.

Cependant, M. SK est un passionné de cuisine qui utilise aussi l’énergie du bio digesteur comme combustible. « Quand je suis au champ, je cuisine avec ça, et comme j’aime faire la cuisine, cela me facilite la tâche », affirme le cordon bleu.

Un praticien de l’économie circulaire

Dans son champ, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » pour paraphraser Antoine Lavoisier. Après la récolte, les tiges sont utilisées pour le compostage qui sera réutilisé pour fertiliser son sol. L’homme va au-delà pour se transformer en collectionneur de déchets bio. Il se promène dans les ateliers de menuiserie à la recherche de la poudre de bois usée pour fabriquer son compost. Même les coques d’arachides, les sons de riz sont collectionnés et entassés dans les fosses fumières pour être transformés en du compost et vendus aux producteurs de la zone.

SK, en dépit de pratiquer l’agriculture proprement dite, porte aussi la casquette de pépiniériste. Il ensemence et entretien les légumes qu’il utilise dans son potager puis le reste est vendu à ses collègues. D’ailleurs, ces pépinières sont très prisées par les producteurs de la zone, à l’image de Jedidia Koilga (JK) qui en prend pour son champ.

Toujours, dans la dynamique d’efficience, SK s’apprête à se lancer dans la pisciculture afin d’étendre sa marge de ressources.

Un vieil agriculteur ouvert à l’innovation

Malgré le poids de l’âge, SK n’hésite pas à s’ouvrir à la science et à l’innovation. Il a eu à participer à plusieurs formations organisées par le ministre en charge de l’agriculture à travers ses démembrements. « Les agents d’agriculture m’ont beaucoup formé, et j’ai mis cela aussi en application », comme il aime à le dire. N’ayant pas fait l’école, il est certes handicapé par son analphabétisme, qui du reste ne l’a pas empêché de se faire former. Il est permanemment au diapason des progrès de la science agricole. C’est ce que relate un de ses amis, GK, sélectionneur retraité de l’Institut de l’Environnement et de la Recherches Agricole (INERA) de Kamboinsin. « Quand j’étais encore en fonction, il me demandait toujours les variétés que les chercheurs ont mis au point. Il pratique aussi à la lettre les recommandations des chercheurs ». En plus, cet ancien sélectionneur reconnaît en l’homme un grand amoureux de la nature. « Toujours au champ », dit-il. « Et tout ce qu’il produit est naturel, ce qui fait qu’il a de la clientèle, parce que la population surtout les fonctionnaires de Dédougou sont toujours à la recherche de ses légumes ».

Il ne se limite pas à la formation, il s’érige aussi en un fin observateur du monde végétal. Comme il aime le répéter, tout à une cause et un sens chez les plantes et il faut savoir observer pour le comprendre  afin trouver des solutions aux besoins. C’est de là qu’il parvient à trouver quelques astuces pour éloigner certaines pathologies de ses semis et accroître ses rendements.

SK, un modèle pour les jeunes

Aujourd’hui, SK inspire plusieurs jeunes dans l’agriculture à l’instar du jeune homme JK, diplômé du baccalauréat en agro-sylvo-pastorale. Propriétaire d’une ferme non encore clôturée, il n’hésite pas à passer voir « papa » comme il l’appelle affectueusement pour les conseils.

Aujourd’hui, le champ de l’ancien militaire fait l’objet de plusieurs d’études et de découvertes, surtout pour le monde universitaire afin constater de visu ses œuvres. Il indique également que même le monde de la recherche collabore parfois avec lui pour l’expérimention des différentes variétés en essai. Pour lui, l’agriculture nourrit son homme et peut, du reste, constituer le poumon de développement du Burkina Faso. Mais, pour se faire il invite les jeunes à s’y lancer et à l’Etat de les accompagner.

Lire aussi : https://infonature.net/production-agricole-dans-la-sissili-une-association-de-femmes-deplacees-internes-et-de-populations-hotes-cultive-lespoir/