Promotion de l’agroécologie : l’Association le Baobab mise sur le théâtre pour sensibiliser
Le 14 mai 2024, à 18h30, le Théâtre Soleil de Ouagadougou a vibré au rythme de « Les histoires de Noog-naba », une pièce de théâtre en langue mooré, jouée par la troupe théâtrale de l’Association le Baobab. Ce spectacle original et captivant a été conçu pour sensibiliser un large public aux enjeux de l’agroécologie, en particulier les producteurs agricoles, les commerçants d’intrants et les consommateurs. Cette représentation n’était pas seulement un divertissement, mais une véritable campagne de sensibilisation utilisant le pouvoir de l’art pour provoquer une réflexion profonde et encourager des pratiques agricoles durables.
« Les histoires de Noog-naba » met en scène Noog-naba, un griot du village de Tambèla, qui raconte la vie quotidienne du village. La pièce juxtapose les pratiques de Ratba et Bila, deux cultivateurs du village, l’un adepte de l’agriculture chimique et l’autre de l’agroécologie. Leur confrontation sur la place publique illustre les tensions entre ces deux modes de production.
Ratba, fier de ses récoltes abondantes grâce aux engrais et pesticides chimiques, vante les mérites de l’agriculture conventionnelle qui, selon lui, assure des rendements élevés et un profit rapide. Il représente la modernité et l’efficacité apparente des technologies agricoles contemporaines, souvent soutenues par des multinationales de l’agrochimie.
Ses arguments sont soutenus par des exemples concrets de sa propre exploitation, où les cultures semblent prospérer sous l’effet des intrants chimiques. En face de lui, Bila défend ardemment l’agroécologie, une pratique agricole respectueuse de l’environnement et des traditions ancestrales. Il met en avant les avantages d’une agriculture durable qui préserve la fertilité des sols, protège la biodiversité et réduit la dépendance aux produits chimiques coûteux et nocifs.
Leur débat, rythmé par des joutes verbales et des anecdotes tirées de la vie villageoise, sert de toile de fond pour une réflexion plus profonde sur les choix agricoles et leurs conséquences. Les dialogues sont ponctués de moments de comédie, rendant la pièce accessible et engageante pour tous les spectateurs.
Les tensions entre Ratba et Bila reflètent les dilemmes auxquels sont confrontés de nombreux agriculteurs aujourd’hui : la tentation des solutions rapides et technologiques contre la nécessité de pratiques durables et respectueuses de l’environnement.
La pièce met également en lumière les impacts négatifs de l’agriculture chimique, tels que la pollution des sols et des eaux, la perte de biodiversité et les risques pour la santé humaine et animale. Pour preuve, Ratba a perdu l’ensemble de ses animaux à cause de l’usage des pesticides chimiques.
Sa fille est aussi tombée malade par la consommation des aliments contenant ces produits. En revanche, elle souligne les bénéfices à long terme de l’agroécologie, non seulement pour l’environnement, mais aussi pour la résilience des communautés agricoles et la sécurité alimentaire.
Des comédiens chevronnés
Les comédiens talentueux de la troupe théâtrale de l’Association le Baobab, véritables artisans de la scène, ont su incarner avec brio les personnages de Ratba et Bila, mais aussi une galerie de figures villageoises (un agent de santé, des vendeuses) qui enrichissent la narration.
Par leurs interprétations authentiques et leur capacité à transmettre des émotions fortes, ils ont donné vie aux enjeux complexes de l’agriculture moderne. Leurs performances ont rendu palpables les inquiétudes des agriculteurs face aux aléas climatiques, à l’épuisement des sols et à la dépendance croissante aux firmes de production d’intrants chimiques.
Les scènes dépeignant la contamination des rivières, la mort des animaux et les maladies chroniques chez les agriculteurs et leurs familles sont particulièrement saisissantes. En parallèle, les comédiens montrent comment cette dépendance aux produits chimiques fragilise l’autonomie économique des paysans. Ratba, investit pour acheter des intrants coûteux, en retour, ses récoltes ne sont pas de qualité car elles pourrissent lors de la vente.
Par contraste, les scènes mettent en avant des pratiques agricoles durables, montrent comment ces méthodes peuvent revitaliser les sols et augmenter la biodiversité. Les personnages qui adoptent ces pratiques retrouvent une certaine indépendance, n’étant plus à la merci des fournisseurs d’intrants chimiques. Ils sont montrés comme plus résilients face aux aléas climatiques et plus capables de garantir la sécurité alimentaire de leurs communautés.
En somme, grâce à la puissance de leur jeu, les comédiens parviennent à transformer des problématiques techniques en récits accessibles et émouvants. Ils réussissent à sensibiliser le public à l’urgence d’un changement de modèle agricole, en rendant les conséquences des choix actuels et les avantages des alternatives agroécologiques tangibles et compréhensibles. Par leurs performances, ils ne se contentent pas de divertir, mais ils éduquent et mobilisent, faisant du théâtre un outil de transformation sociale et environnementale.
Une mise en scène pour divertir et éduquer
Le metteur en scène, Abou Kabré, explique que ce spectacle vise à encourager le public à réfléchir sur ses pratiques agricoles et à explorer des solutions endogènes pour une alimentation saine et la préservation de l’environnement. La pièce se divise en deux phases : la représentation théâtrale et une animation interactive où le public devient acteur, partageant ses opinions et débattant du thème.
Abou Kabré a conçu cette pièce non seulement comme un divertissement, mais comme un outil pédagogique et de sensibilisation. Selon lui, le théâtre a un pouvoir unique de toucher les esprits et les cœurs, de susciter des questionnements et de favoriser des prises de conscience. Il considère que le public doit être plus qu’un simple spectateur ; il doit être un participant actif dans le processus de réflexion et de changement.
La première phase, la représentation théâtrale, pose le cadre et expose les enjeux de manière vivante et captivante. Les comédiens, à travers leurs performances passionnées, introduisent les dilemmes agricoles contemporains et les contrastes entre l’agriculture chimique et l’agroécologie. Les dialogues sont soigneusement écrits, permettant aux spectateurs de s’identifier aux personnages et de comprendre leurs luttes et aspirations.
La seconde phase, l’animation interactive, est conçue pour transformer le public en acteur. Après la représentation, les spectateurs sont invités à s’impliquer directement. Cette partie est modérée par une animatrice ayant jouée dans le théâtre. Elle a guidé les échanges et encouragé les participants à exprimer leurs points de vue, à partager leurs expériences personnelles et à poser des questions.
Ce format interactif vise à briser les barrières entre la scène et le public, créant un espace de dialogue où chacun peut contribuer à la réflexion collective. Les spectateurs, qui peuvent être des agriculteurs, des commerçants ou des consommateurs, sont encouragés à discuter des avantages et des inconvénients des différentes pratiques agricoles, à explorer des solutions locales et à envisager des actions concrètes pour une agriculture plus durable. Les échanges permettent de recueillir des témoignages directs sur les impacts des produits chimiques et de discuter des bénéfices potentiels de l’agroécologie.
Le provocateur bienveillant…
Fulgence Yaméogo, Coordonnateur de l’Association le Baobab, incarne avec une ironie subtile le personnage des partisans des produits chimiques de synthèse. Son intervention lors de la phase d’animation après la représentation théâtrale apporte une dimension supplémentaire au débat en mettant en lumière les conséquences souvent négligées de l’utilisation intensive de ces produits.
Avec un mélange de sarcasme et de clairvoyance, il expose les effets dévastateurs des produits chimiques sur les écosystèmes, les sols et la santé humaine. Il souligne de manière percutante les dangers de la dépendance aux intrants chimiques, qui non seulement appauvrissent les sols et réduisent la biodiversité, mais compromettent également la sécurité alimentaire à long terme.
Son discours, teinté d’une pointe d’humour, fait réfléchir le public sur les choix qu’ils font en matière d’agriculture et les encourage à envisager des alternatives plus durables et respectueuses de l’environnement. Fulgence Yaméogo incarne ainsi le rôle de provocateur bienveillant, poussant les spectateurs à remettre en question leurs convictions et à envisager de nouvelles perspectives.
Son intervention dynamique et engagée suscite des réactions variées parmi le public, allant de l’amusement à la prise de conscience. Certains spectateurs sont interpellés par ses arguments convaincants, tandis que d’autres sont amenés à approfondir leur réflexion sur les enjeux complexes de l’agriculture moderne.
Des spectateurs témoignent…
Spectateur, Éric Zoungrana exprime son appréciation pour la profondeur des thèmes abordés dans la pièce. Pour lui, le théâtre représente l’un des meilleurs moyens pour interpeller et dénoncer les problèmes sociétaux. Il souligne notamment le rôle essentiel du théâtre dans la sensibilisation aux dangers des produits chimiques et à l’importance de l’agroécologie.
Sa réaction positive à la pièce témoigne de son engagement en faveur d’un changement de paradigme dans l’agriculture, où la durabilité et la préservation de l’environnement deviennent des priorités. En partageant son expérience et ses réflexions, Zoungrana contribue à renforcer l’impact de la pièce en tant qu’outil de sensibilisation et de mobilisation pour une agriculture plus respectueuse de la nature et des populations.
Des membres du consortium étaient de la partie. Le Conseil national pour l’agriculture biologique (CNABio), Yolse Tuuma et Autre Terre ont suivi avec grande attention le spectacle. Christian Legay, représentant de la coordination régionale pour l’Afrique de l’Ouest de Autre Terre, a fait une mention spéciale aux comédiens.
Il a aussi apprécié les thèmes abordés et le rendu. Cette scène, selon lui, va contribuer à sensibiliser les agriculteurs, les vendeurs de produits chimiques mais aussi les consommateurs sur les conséquences de ces produits et l’importance d’adopter l’agroécologie.
Christian Legay, en particulier, loue la qualité de la représentation et met en évidence l’impact potentiel du spectacle sur la sensibilisation des différents acteurs de la chaîne alimentaire, depuis les agriculteurs jusqu’aux consommateurs. Son éloge encourage l’Association le Baobab et les acteurs du spectacle à poursuivre leurs efforts dans la sensibilisation et l’éducation autour de l’agroécologie.
Cette activité est réalisée dans le cadre du Programme mondial pour les petits producteurs agroécologiques et la transformation durable des systèmes alimentaires (GP-SAEP). Le programme GP-SAEP vise à lever les principaux obstacles à la mise à l’échelle de l’agroécologie et à la transition vers des systèmes alimentaires durables pour les petits producteurs (agriculteurs et micro, petites et moyennes entreprises agroalimentaires) en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Au Burkina, le programme est mis en œuvre entre autres par Association le Baobab, CNABio, APIL, CEAS Burkina, Yolse Tuuma pour 31 mois à compter de décembre 2023. Financé par le Fonds international de développement agricole (FIDA), c’est plus de 7 200 bénéficiaires de 16 communes du Centre-Ouest du Burkina Faso.
Lire aussi : De la souveraineté alimentaire à la Saisonnière
www.infonature.net