Assurance climatique indicielle: la concluante expérience de petits producteurs du Mouhoun
La production agricole du Burkina Faso est de plus en plus confrontée aux aléas climatiques. Cette situation due aux effets du changement climatique affecte négativement le rendement des cultures. Pourtant, le secteur de l’agriculture contribue à 13,5% au Produit intérieur brut (PIB). Il occupe 73% des ménages selon les comptes nationaux de 2023, du Ministère de l’économie, des finances et de la prospective. Pour faire face à cette situation, le gouvernement du Burkinabè à travers le ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement (MEEA) a pris plusieurs mesures dont la formulation du Projet Promotion d’une Assurance Climatique Indicielle pour les petits exploitants agricoles au Burkina Faso. Il est en phase d’essai dans les communes de Dori (région du Sahel) et Safané et Tchériba (région de la Boucle du Mouhoun) avec le soutien technique et financier du Programme des nations unies pour le développement (PNUD) et le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM). Depuis 2022, des programmes d’assurance sont menés dans les zones d’intervention. Quel bilan pour les souscripteurs à l’assurance climatique indicielle ? Pour répondre à cette question Info Nature est allé à la rencontre de producteurs assurés dans la province du Mouhoun.
Fin août 2024 à Tchériba, commune rurale de la région de la Boucle du Mouhoun, communément appelé le grenier du Burkina. Traoré Drissa, la quarantaine remplie, doit rejoindre son bureau à ciel ouvert pour prendre soin de ses semis. Mais avant, petit tour au kiosque pour s’éveiller les muscles avant les hostilités. Des taquineries ne manquent pas avec ses camarades du village mais, pas pour longtemps, son boulot l’attend. Pas plus de 10 mn de route à moto, l’agriculteur retrouve son champ. Aidé par deux de ses proches, ils sarclent son champ de Sorgho. Plusieurs spéculations se font voir, du maïs, du niébé, du mil. A vue d’œil, son champ présente une bonne physionomie surtout le maïs au stade de floraison. Pour cette saison Drissa Traoré a assuré toutes ses spéculations : maïs, niébé, mil. Il est à sa deuxième année d’expérimentation de l’assurance agricole. S’exprimant dans un français courant, l’homme qui dépasse les 1m 80 affirme qu’il a eu vent de l’assurance climatique indicielle grâce à une sensibilisation des agents d’agriculture et de l’environnement.

Pour la première fois, il dit avoir joué la carte de la prudence. Il n’avait assuré que son champ de niébé. Mais, il a payé cash. « L’année passée, je n’avais pas bien compris. J’ai seulement assuré mon champ de niébé. Je n’ai pas sécurisé le maïs. Malheureusement, y a eu des poches de sécheresse. Cela a impacté négativement le maïs. Les champs de maïs ont été déclarés sinistrés. Ceux qui avaient assuré le maïs ont été dédommagés. Je n’ai pas récolté grand-chose. Comme je n’étais pas assuré, je n’ai pas été naturellement indemnisé », a-t-il expliqué. Pour lui, l’importance de l’assurance agricole, climatique indicielle n’est plus à démontrer. « C’est une solution aux aléas climatiques », a-t-il dit, avant d’ajouter que cela permet, en cas de sinistre, que le producteur puisse au moins recouvrer le prix de son investissement et de ses efforts. A la question de savoir, s’il ne regrettait pas si toutefois, il s’assurerait et qu’il n’y avait pas de sinistre, il répond : « pas du tout, et si c’était le contraire », réplique-t-il en retour.
Les heureux gagnants de l’assurance
A Tikan, toujours dans la zone de Thériba, Issouf Baoula père de famille, a souscrit à l’assurance climatique indicielle. Victime, d’une insuffisance de pluie, il a été indemnisé. Une indemnisation qui a permis au producteur de reconstruire sa vie. Il témoigne, dans la vidéo si dessous.
A Sokoula, dans la commune de Safané, Dama Habi, a souscrit à l’assurance climatique indicielle. Comme d’habitude, elle arrive de bonne heure à son lieu de travail. Pas assez d’effort physique à fournir. Ses semis ont grandi. Ils présentent fière allure. « Il s’agit juste de venir regarder la somme de nos efforts avec la grâce de Dieu, sinon, il n’y a pratiquement rien à faire », lance-t-elle. Concernant, l’assurance agricole, elle affirme être à sa deuxième année d’expérience. D’ailleurs, pour sa première année, c’est-à-dire lors de la campagne agricole 2023, elle a été sinistrée. Elle explique que le sinistre est dû à un manque de pluie au moment de la floraison des semis, ce qui a occasionné une perte des rendements. « Les récoltes n’étaient pas bonnes », déclare-t-elle. Mais, grâce à l’assurance climatique indicielle à laquelle elle a souscrit, elle peut sourire. « J’ai été dédommagée en raison de 20 000 francs CFA à l’hectare pour le niébé et 45 000 francs CFA à l’hectare pour le maïs », relate la productrice. Quoi de plus normal, qu’elle renouvelle sa confiance à l’assurance pour l’année 2024. « On ne demande pas de sécheresse mais prévenir vaut mieux que guérir », a-t-elle signifié.

Après Sokoula, cap sur Safané. Il à 45 km de la ville de Dédougou. Sur la route non bitumée, quelques nids de poules et de boues rendent la circulation difficile. La verdure des arbres et des semis offrent une vue magnifique. Aux abords de la route, du bétail broute. Point besoin d’être expert, pour comprendre que c’est une zone fortement agricole. A l’entrée de Safané, halte au service des eaux et forêt pour prendre la température de l’environnement. « Tout va bien, pas d’incidents majeurs pour la campagne », nous rassure le chef de service de l’environnement de Safané. La visite peut donc continuer. Il faut fendre vent et herbes pour retrouver les braves producteurs. Arrêt sur le champ de Ouampoko Sawadogo. S’exprimant en langue mooré, et revêtu d’un voile, elle accepte répondre à nos questions. Elle fait partie de celles qui ont assuré leurs champs. Elle explique qu’elle est à sa troisième fois. « Pour la première fois, nous pensions que c’était une blague, jusqu’à ce qu’on sache que c’est une bonne affaire », raconte la productrice, affichant un léger sourire. Elle aussi a déjà bénéficié des fruits de climatique indicielle. Elle explique que son champ de niébé a été touché par une insuffisance de pluie réduisant un peu ses rendements. A sa grande surprise dit-elle, elle a bénéficié d’une prime de résilience en signe de compensation. Chose qui l’a réconfortée à s’assurer davantage. « A ma première année d’assurance, j’ai juste assurée un hectare de niébé, l’année qui a suivi, c’était le maïs et le niébé. Cette année, j’ai assurée 5 hectares dont un pour mon groupement, un pour mon mari et trois pour moi. Mais, c’est parce que c’est bénéfique que nous continuions », affirme-t-elle.
Des assurés rassurés
Dans la Boucle du Mouhoun, l’assurance agricole attire de plus en plus d’adhérents. Lizeta Gnemé est à sa première expérience. « Nous avons eu une sensibilisation avec les producteurs et le chef du village. Avec les changements climatiques marqués par la sécheresse et les inondations, nous avons compris que l’assurance est une solution idoine pour nous », explique la productrice du village de Nounou, commune de Safané. Lors de la campagne humide de 2023, elle mentionne que son Niébé n’a pas bien donnée du fait de la mauvaise pluviométrie et c’est pour juguler cela qu’elle s’est résolue à assurer son champ. Elle affirme que la prime de l’assurance s’élève à 9 500 francs CFA par hectare mais elle a bénéficié d’une subvention du PPACI-BF qui réduit le coût prix à 6 175 francs CFA.

A Yankasso, toujours dans la commune de Safané, l’assurance agricole gagne le cœur des producteurs. En plein travaux dans son champ, Sodouin Yé, est en pleine opération de sarclage de son maïs. Sur une superficie qui s’étale à perte de vue, Monsieur Yé a dans son champ plusieurs spéculations, dont un hectare de maïs, un hectare de niébé et un hectare de sésame. Bien qu’il dit n’avoir pas encore été victime d’une sécheresse grave ou d’une inondation, il dit se mettre « à l’abris ». Il ajoute qu’en cas de sécheresse, « nous savons que l’assurance va nous dédommager en fonction du sinistre ». Il ajoute qu’avant que l’assurance ne vienne, il avait été sinistré mais il ne savait vers qui ou quelle structure se tourner.
Assurance agricole : un impératif du moment
Drissa Ouédraogo, agent à la direction provinciale (DP) de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques du Mouhoun (Dédougou) souligne l’importance de l’assurance pour les producteurs. « Nous sommes dans une situation où la pluviométrie n’est pas maitrisable. Cette année on peut avoir une pluviométrie normale et l’année prochaine une pluviométrie irrégulière », explique l’agent d’agriculture. Face à cette variabilité climatique, il déclare que l’assurance agricole permet de garantir et de sécuriser ses investissements. Il insiste sur le fait que la production agricole est une entreprise, et qu’elle doit être protégée par une couverture d’assurance pour avancer. Du côté du département en charge de l’environnement, Bonaventure Traoré Directeur provincial (DP) du Mouhoun, le message reste le même : inciter les producteurs à assurer leur production pour garantir leur investissement face à la variabilité climatique. C’est ce que laisse entendre le DP/environnement du Mouhoun, insistant sur le fait que le Burkina Faso est en zone sahélienne. Pour lui, l’assurance offre une protection en cas de sinistre, assurant au producteur, une compensation minimale. Comme difficultés liées à l’assurance agricole, il cite l’insécurité dans certaines zones du pays qui ne permet pas d’assurer une couverture adéquate et aussi la fracture numérique qui ne facilite pas la fluidité de l’information entre toutes les parties prenantes, à savoir les producteurs, les assureurs et les techniciens agricoles et environnementaux.
« Tout producteur peut s’assurer quel que soit ses moyens » , Idrissa Karama
Depuis 2018, Yelen Assurance, une société de micro assurance offre des services d’assurance agricole. Selon Idrissa Karama, directeur technique en charge du développement de Yeleen Assurance, tout est parti d’un regard sur les statistiques de l’INSD en 2017 qui estimaient qu’une bonne partie de la population retombait dans le cycle de la pauvreté en raison des cataclysmes climatiques, sécheresses et inondations qui impactent la production et donc les rendements. Pour lui, il est inimaginable que pour quelques pluies manquantes, un paysan ne parvienne pas à récolter, après avoir passé trois à quatre mois à préparer sa campagne, sélectionner ses semences, défricher les terres, mettre de la main d’œuvre familiale et même plus. De son avis, l’assurance a pour mission de combler le manque à gagner du producteur en cas de sinistre. Elle constitue une solution pour limiter l’impact des aléas climatiques sur les producteurs.
« Au Burkina, les paysans adhèrent de plus en plus à l’assurance agricole », Jacques Ismaël Tarama
Selon le coordinateur du Projet Promotion d’une assurance climatique indicielle au profit des petits exploitants agricoles au Burkina Faso (PPACI-BF), Jacques Ismaël Tarama, les producteurs Burkinabè comprennent de plus en plus l’importance de sécuriser leur investissement. Selon ses chiffres 183 producteurs ont souscrit pour une couverture de 238 hectares en 2022 (ndlr : lorsque le projet démarrait). En 2023, le nombre de souscrits a atteint 500 producteurs, couvrant en tout 582 hectares. En 2024, le projet a enregistré au 30 septembre 2024, 2 207 producteurs ayant sécurisé 2 704 hectares de cultures contre les risques climatiques. Il précise que cela ne concerne que trois communes du Burkina Faso dont Tchériba, Safané et Dori. « De plus en plus, les producteurs comprennent la nécessité de faire couvrir leurs exploitations par une assurance climatique indicielle et cela nous réjouit beaucoup », indique Jacques Ismaël Tarama.
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