Assurance agricole : la concluante expérience de petits producteurs du Mouhoun
Au Burkina Faso, le secteur agricole contribue à 13,5% au Produit intérieur brut (PIB), selon Les comptes nationaux de 2023, du Ministère de l’économie, des finances et de la prospective et occupe 73% des ménages, l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), dans son rapport intitulé Caractéristiques des ménages agricoles au Burkina Faso. L’agriculture, majoritairement pratiquée par la population active est de plus en plus confronté aux aléas climatiques qui influencent les rendements. Une inondation ou une insuffisance pluviométrique peut faire perdre totalement ou partiellement le rendement d’un producteur. En vue de minimiser ces risques, des producteurs se tournent de plus en plus vers les compagnies d’assurances. Quel bilan pour les souscripteurs à l’assurance agricole ? Pour répondre à cette question Info Nature est allé à la rencontre de producteurs assurés dans la province du Mouhoun et a interrogé une micro assurance, offrant des services d’assurances agricoles.
Fin août 2024 à Tchiériba, commune rurale de la région de la Boucle du Mouhoun, communément appelé le grenier du Burkina. Traoré Drissa, la quarantaine remplie, doit rejoindre son bureau à ciel ouvert pour prendre soin de ses semis. Mais avant, petit tour au kiosque pour s’éveiller les muscles avant les hostilités. Des taquineries ne manquent pas avec ses camarades du village mais, pas pour longtemps, son boulot l’attend. Pas plus de 10 mn de route à moto, l’agriculteur retrouve son champ. Aidé par deux de ses proches, ils sarclent du Sorgho. Plusieurs spéculations se font voir, du maïs, du haricot, du mil. A vue d’œil, son champ présente une bonne physionomie surtout le maïs au stade de floraison. Pour cette saison Drissa Traoré a assuré toutes ses spéculations : maïs, niébé. Il est à sa deuxième année d’expérimentation de l’assurance agricole. S’exprimant dans un français courant, l’homme qui dépasse les 1m 80 affirme qu’il a eu vent de l’assurance agricole grâce à une sensibilisation des agents d’agriculture.
Pour la première fois, il dit avoir joué la carte de la prudence en n’assurant que son champ de niébé, mais il paye cash. « L’année passée, je n’avais pas bien compris, ce qui fait que j’ai seulement assuré mon champ de niébé, et je n’ai pas assuré le maïs. Alors qu’il y a eu des poches de sécheresse et les champs de maïs ont été sinistrés. Ceux qui ont assurés leurs champs de maïs ont été dédommagés. Alors que nous, nous n’avons pas récolté grand-chose dans le champ de maïs et nous n’avons pas été dédommagés », a-t-il explique. Pour lui, l’importance de l’assurance agricole n’est plus à démontrer. « C’est une solution aux aléas climatiques », a-t-il dit, avant d’ajouter que cela permet, en cas de sinistres, que le producteur puisse au moins recouvrer le prix de son investissement et de ses efforts. A la question de savoir, s’il ne regretterait pas si toutefois, il s’assurait et qu’il n’y avait pas de sinistres, il répond : « pas du tout, et si c’était le contraire », réplique-t-il en retour ?
Les heureux gagnants de l’assurance
A Sokoula, toujours dans la commune de Tchiériba, Amie Niamba, a souscrit à l’assurance climatique indicielle. Comme d’habitude, elle arrive de bonne heure à son lieu de travail. Pas assez d’effort physique à fournir, ses semis ont grandi et présentent fier allure. « Il s’agit juste de venir regarder la somme de nos efforts avec la grâce de Dieu, sinon, il y a pratiquement rien à faire », lance-t-il. Concernant, l’assurance agricole, elle affirme être à sa deuxième année d’expérience. D’ailleurs, pour sa première année, c’est-à-dire lors de la campagne agricole 2023, elle a été sinistrée. Elle explique que le sinistre est dû à un manque de pluie au moment de la floraison des semis, ce qui a occasionné une perte des rendements. « Les récoltes n’étaient pas bonnes », déclare-t-elle. Mais, grâce à l’assurance agricole à laquelle elle a souscrit, elle peut sourire. « J’ai été dédommagée en raison de 20 000 francs CFA à l’hectare pour le niébé et 45 000 francs CFA à l’hectare pour le maïs », relate la productrice. Quoi de plus normal, qu’elle renouvelle sa confiance à l’assurance pour l’année 2024. « On ne demande pas de sécheresse mais prévenir vaut mieux que guérir », a-t-elle signifié.
Après Tchiériba, cap sur Safané, à 45 km de la ville de Dédougou. Sur la route non bitumée, quelques nids de poules et la boue rendent la circulation difficile. La verdure des arbres et des semis offre une vue magnifique. Aux abords de la route, du bétail broute. Point besoin d’être expert, pour comprendre que c’est une zone fortement agricole. A l’entrée de Safané, halte au service des eaux et forêt pour prendre la température de l’environnement. « Tout va bien, pas d’incidents majeures pour la campagne », nous rassure le chef de service des eaux et forêt de Safané. La visite peut donc continuer. Il faut fendre vent et herbes pour retrouver les braves producteurs. Arrêt sur le champ de Wampogo Sawadogo. S’exprimant en langue mooré, et revêtu d’un voile, elle accepte de répondre à nos questions. Elle fait partie de celles qui ont assuré leurs champs. Elle explique qu’elle est à sa troisième fois. « Pour la première fois, nous pensions que c’était une blague, jusqu’à ce qu’on sache que c’est une bonne affaire », raconte la productrice, affichant un léger sourire. Elle aussi a déjà bénéficié des fruits de l’assurance agricole. Elle explique que son champ de haricot a été touché par une insuffisance de pluie réduisant un peu ses rendements. A sa grande surprise dit-elle, elle a bénéficié d’une prime de résilience en signe de compassion. Chose qui l’a réconfortée à s’assurer davantage. « A ma première année d’assurance, j’ai juste assurée un hectare de haricot, l’année qui a suivi, c’était le maïs et le niébé. Cette année, j’ai assurée 5 hectares dont un pour mon groupe, un pour mon mari et trois pour moi. Mais, c’est parce que c’est bénéfique que nous continuons », affirme-t-elle.
A Tikan, toujours dans la zone de Tiériba, Issouf Baoula père de famille, a souscrit à l’assurance climatique indicielle. Victime, d’une insuffisance de pluie, il été indemnisé. Une indemnisation a permis au producteur de reconstruire sa vie. Il témoigne, dans la vidéo si dessous.
Des assurés rassurés
Dans la Boucle du Mouhoun, l’assurance agricole attire de plus en plus d’adhérents. Lizata Niémé est à sa première expérience. « Nous avons eu une sensibilisation avec les paysans et le chef du village. Avec les changements climatiques marqués par la sécheresse et les inondations, nous avons compris que l’assurance est une bonne solution pour nous », explique la productrice à Safané. Lors de la campagne humide de 2023, elle mentionne que son haricot n’a pas bien donnée du fait de la mauvaise pluviométrie et c’est pour juguler cela qu’elle s’est résolue à assurer son champ. Elle affirme que le prix de l’assurance s’élève à 12 000 francs CFA par hectare mais elle a bénéficié d’une subvention du PPACI qui réduit les prix à 7000 francs.
A Yankasso, toujours dans la commune de Safané, l’assurance agricole gagne le cœur des producteurs. En plein travaux dans son champ, Soudouin Yé, est en pleine opération de sarclage de son maïs. Sur une superficie qui s’étale à perte de vue, Monsieur Yé a dans son champ plusieurs spéculations, dont un hectare de maïs, un hectare de niébé et un hectare de sésame. Bien qu’il dit n’avoir pas encore été victime d’une sécheresse grave ou d’une inondation, il dit se mettre « à l’abris ». Il ajoute qu’en cas de sécheresse, « nous savons que l’assurance va nous dédommagé en fonction du sinistre ». Il ajoute qu’avant que l’assurance ne vienne, il déjà été sinistré mais il ne savait vers qui ou quelle structure se tourner.
Assurance agricole : un impératif du moment
Drissa Ouédraogo, agent à la direction provinciale (DP) de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques du Mouhoun (Dédougou) souligne l’importance de l’assurance pour les producteurs. « Nous sommes dans une situation où la pluviométrie n’est pas maitrisable. Cette année on peut avoir une pluviométrie normale et l’année prochaine une pluviométrie irrégulière », explique l’agent d’agriculture. Face à cette variabilité climatique, il déclare que l’assurance agricole permet de garantir et de sécuriser ses investissements. Il insiste sur le fait la production agricole est une entreprise, et qu’elle doit être protégée par une couverture d’assurance pour avancer. Du côté du département en charge de l’environnement, Bonaventure Traoré Directeur provincial ( DP) de , le message reste le même : inciter les producteurs à assurer leur production pour garantir leur investissement face à la variabilité climatique. C’est ce que laisse entendre le DP/agriculture du Mouhoun, insistant sur le fait que le Burkina Faso est en zone sahélien. Pour lui, l’assurance offre une protection en cas de sinistre, assurant au producteur, une compensation minimale. Comme difficultés liées à l’assurance agricole, il cite l’insécurité dans certaines zones du pays qui ne permet pas d’assurer une couverture adéquate et aussi la fracture numérique qui ne facilite pas fluidité de l’information entre toutes les parties prenantes, à savoir les producteurs, les assureurs et les techniciens agricoles et environnementaux.
« Tout producteur peut s’assurer quel que soit ses moyens » , Idrissa Karama
Depuis 2018, Yelen Assurance, une société de micro assurance offre des services d’assurance agricole. Selon Idrissa Karama, directeur technique en charge du développement de Yeleen Assurance, tout est parti d’un regard sur les statistiques de l’INSD en 2017 qui estimaient qu’une bonne partie de la population retombait dans le cycle de la pauvreté en raison des cataclysmes climatiques, sécheresses et inondations qui impactent la production et donc les rendements. Pour lui, il est inimaginable que pour quelques pluies manquantes, un paysan ne parvienne pas à récolter, après avoir passé trois à quatre mois à préparer sa campagne, sélectionner ses semences, défricher les terres, mettre de la main d’œuvre familiale et même plus. De son avis, l’assurance a pour mission de combler le manque à gagner du producteur en cas de sinistre. Elle constitue une solution pour limiter l’impact des aléas climatiques sur les producteurs.
« Tout producteur peut s’assurer sans distinction de superficie », répond M. Karama lorsqu’on lui pose la question : qui peut s’assurer ? Le producteur a le choix de souscrire directement sur son smartphone parce qu’on dispose d’une application digitale, ou souscrire à l’agence de micro Assurance la plus proche de chez lui, ou encore aller vers les agents techniques du ministère de l’agriculture. « Ils ont vraiment le choix », dit-il. Et qu’est-ce que le producteur gagne en retour. Il répond qu’en fonction de ce que le producteur a choisi comme aspect de couverture, il sera dédommagé en cas de sinistres, après constat des services d’agriculture et de l’environnement. Il précise que c’est à l’assureur de disponibiliser les montants soit par paiement à distance, soit par virement, chèque ou disponibiliser l’argent auprès des micros finances pour qu’ils aillent récupérer. Mais avant, le producteur doit signer un contrat d’assurance. Monsieur Karama indique que la tarification découle de l’analyse des risques : on examine la fréquence des évènements passés et les coûts de réparation pour déterminer la moyenne des dégâts. Il s’agit ensuite d’ajuster les prix en fonction ce que peut payer un producteur de concert avec les agroéconomistes, climatologues etc. Et c’est le coût final déterminé qui sera payé en cas de sinistres. Parmi les difficultés qui émaillent le secteur de l’assurance agricole, M. Karama cite la disponibilité limitée des données fiables, l’absence de recul historique de 15-20 ans et le coût élevé des données méthodologiques. Il souligne aussi que certaines institutions financières ne reconnaissent pas encore l’assurance agricole, bien qu’elles aient besoin d’un minimum d’assurance avant d’accorder des crédits aux producteurs. Cela, dit-il, réduit les chances d’avoir plus d’assurés. Alors qu’un nombre plus élevé d’assurés permettrait de réduire le coût des produits d’assurance.
A noter que le gouvernement burkinabé a, dans le cadre de la mise en œuvre de l’offensive agro-sylvo-pastorale et halieutique 2023-2025, institué le mécanisme de l’assurance agricole tout risque.